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notre idée moderne d’un canon rigoureusement et définitivement limité est inconnue aux apôtres. Chez les Juifs eux-mêmes, à partir des Psaumes, le canon était encore flottant ou, comme on l’a dit, à l’état fluide. À mesure que la vénération populaire générale adoptait un écrit religieux ou passant pour tel, cet écrit prenait rang à la suite des Psaumes, et ainsi se forma la collection dite des hagiographes ou saints écrits, savoir : « les Psaumes, Job, le Cantique, Ruth, les Lamentations, l’Ecclésiaste, Esther, Daniel, Esdras, Néhémie, les Chroniques. » L’apocalypse de Daniel trahit la date récente de sa composition par sa place au milieu de ces hagiographes, car autrement les Juifs l’eussent rangée, comme les chrétiens l’ont fait assez maladroitement, parmi les grands prophètes contemporains de l’exil. L’ordre dans lequel nous les énumérons ici, et qui est celui des bibles hébraïques actuelles, subit, à vrai dire, de fréquentes modifications ; l’historien juif Josèphe en fournit déjà la preuve. Longtemps aussi il y eut dans la synagogue des protestations assez vives contre l’érection de l’Ecclésiaste, du Cantique et même des Proverbes et du livre d’Esther à la dignité de livres inspirés. Enfin, si le canon hébreu avait été dès lors immuablement fixé, les traducteurs alexandrins n’auraient pu ni osé y adjoindre ces livres qu’on appela plus tard les apocryphes de l’Ancien Testament et qui n’existent pas en hébreu, « Judith, Tobie, la Sapience, l’Ecclésiastique, les Macchabées, » ni introduire dans les livres canoniques eux-mêmes des additions telles que l’histoire de Suzanne et le cantique des trois jeunes gens dans la fournaise.

Tout cela suppose évidemment une certaine ductilité, un certain vague dans les idées en matière de livres saints, vague et ductilité qu’un canon arrêté a précisément pour but et pour effet de dissiper. Le même défaut de rigueur se retrouve dans l’usage que les écrivains du Nouveau Testament font des textes de l’ancien, sur lesquels il leur arrive de s’appuyer. Tantôt en effet ils les citent d’une manière plus conforme à l’original hébreu qu’à la traduction alexandrine, tantôt ils traduisent eux-mêmes d’une manière indépendante ou bien en reproduisant quelque autre version aujourd’hui perdue, tantôt enfin leurs raisonnemens sont fondés sur des méprises ou des expressions impropres de la fameuse version. C’est ainsi par exemple que l’auteur du premier Évangile croit pouvoir fortifier son récit de la naissance miraculeuse de Jésus en citant un passage du prophète Ésaïe que les Alexandrins avaient traduit : une vierge deviendra enceinte, etc., tandis que le texte hébreu parlait simplement d’une jeune femme. La liste serait longue de tous les faits analogues ; cependant notons que ces mêmes auteurs ne citent jamais comme écriture faisant autorité les livres ajoutés par la version