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ecclésiastique avec l’espoir de rencontrer dans la chrétienté primitive une image exacte de son église particulière doit s’attendre à bien des mécomptes, à bien des surprises.

On a dit que l’invention de l’imprimerie avait doté l’homme d’un sixième sens. Ce qui est certain, c’est que, dans l’esprit de quiconque lit, elle a fait tourner le monde d’un angle énorme sur son axe, et le présente désormais sous un aspect tout différent de ce qu’il était dans l’antiquité. Et il ne s’agit pas ici de la vie extérieure, c’est bien plus profondément que la transformation s’est opérée. Autant par exemple il nous serait impossible de nous passer du livre sous toutes ses formes, — depuis le journal jusqu’au dictionnaire, depuis le code jusqu’au calendrier, — autant l’antiquité savait vivre sans lui. Les choses qui nous paraissent aujourd’hui exiger le plus impérieusement le secours du livre, la philosophie, la science même ne s’en servaient alors que comme d’un auxiliaire de second ordre. Cela confond bien un peu nos imaginations modernes, mais les faits sont là. « Bien simple, s’écrie dans son Phèdre le divin Platon, quiconque s’imagine avoir assuré l’avenir d’un art en le confiant à un livre ! bien simple aussi celui qui va l’y chercher, comme si des lettres pouvaient lui communiquer un savoir clair et solide ! Il ignore l’oracle d’Ammon, car il se fait l’illusion de croire que les discours écrits ont une autre utilité que celle de rappeler ce qui est écrit à celui qui sait déjà. »

Nous avons perdu en force mnémonique ce que nous avons gagné sous le rapport du nombre des connaissances et de la faculté de les acquérir. Il faut bien qu’il en soit ainsi pour que de longs poèmes aient pu pendant des siècles se transmettre par la tradition orale, et les méthodes d’enseignement en usage au sein des écoles où tout ce qui est ancien revêt un caractère sacré qui le maintient malgré ses inconvéniens nous attestent aussi que dans l’antiquité l’essentiel était d’apprendre par l’oreille, le secours des yeux ne venant qu’en dernière ligne. La foi vient de l’ouïe, disait saint Paul, qui ne soupçonnait pas encore d’autre moyen de la répandre que la parole, et n’eût absolument rien compris au projet de fonder une société de petits traités religieux. Réunir des disciples, les pénétrer de ses idées par l’enseignement direct et leur laisser le soin de les perpétuer par la même voie, telle est alors la grande ambition, tel est le souci presque exclusif des chefs d’école. On comprend que la rareté et la cherté des manuscrits, l’extrême petit nombre des hommes qui recevaient une instruction réelle et des villes où l’on pouvait la trouver, aient produit cet état de choses et voilé toute sorte d’inconvéniens qui aujourd’hui seraient insupportables.

Cependant les derniers siècles du monde antique témoignent d’un