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elles voient se dévouer leurs maris et leurs pères. Le souvenir de cette noble page ne nous a pas quitté pendant l’étude que les documens conservés parmi les papiers de Gustave III nous suggéraient. Mme de Brionne, Mme Feydeau de Mesmes, Mme d’Egmont, Mme de La Marck, Mme de Boufflers, comme Mlle de Lespinasse et Mme de Choiseul, comme Mme de Staël après elles, ont accepté ce devoir dans les momens les plus difficiles, et l’ont accompli avec autant d’intelligence que de dévouement. Il était juste, nous le croyons, de rendre ce nouvel hommage à ces rares personnes, par qui s’est exprimé ce qu’il y avait peut-être de plus élevé dans l’opinion générale de leur époque, qui ont détesté le pouvoir absolu, gémi de l’abaissement de la France, pleuré, le partage de la Pologne. Plusieurs d’entre elles sont peu connues, et mériteraient de l’être davantage ; mais quoi ! ne sont-elles pas de ce monde expirant de la fin du XVIIIe siècle dont il nous faut disputer le souvenir aux abîmes ? « Il en est d’elles comme de ces pastels de Latour, dont le temps a enlevé la poussière d’un coup de son aile, et de qui Diderot disait dans sa prophétie : Memento quia pulvis es… » L’image ainsi évoquée par M. Sainte-Beuve décrit bien leur suprême et fragile élégance, et le malheur des temps s’est chargé de justifier avec une cruelle précision l’oracle insouciant de Diderot.

La mort de Louis XV marque dans l’histoire des relations entre Gustave et la cour de France le commencement d’une période nouvelle. Gustave III ne sera plus en face du vieux roi dont la politique a protégé sa jeunesse, et envers lequel personnellement il était tenu à tant de déférence. Il pourra réclamer du nouveau roi la conservation d’une alliance héréditaire, et en même temps il lui sera plus facile de revendiquer pour lui seul le principal mérite de la révolution accomplie le 19 août 1772. Son œuvre n’est déjà plus en question : le suffrage de la France, organe de cette puissance nouvelle, l’opinion, l’a désormais consacrée, et si Gustave poursuit encore avec ardeur ses nombreuses correspondances avec la cour, avec les grands, avec les écrivains en renom et les grandes dames de la noblesse française, ce n’est plus pour recruter en faveur de sa cause une force nouvelle, mais pour ajouter un lustre envié à la prospérité d’un règne dont il veut pour témoins les gens d’esprit et les philosophes.


A. GEFFROY.