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nous approchions à grands pas de l’anarchie. Le spectacle qu’offre la Pologne devrait seul ouvrir les yeux. Les noms sacrés de religion et de liberté ont réduit les Polonais à l’état où ils se trouvent maintenant ; l’abus des choses les plus salutaires est nuisible. Spectateur de tous les chocs, j’attends en tremblant le moment que je vois approcher où des puissances voisines voudront profiter de nos troubles pour nous assujettir. Je ne me sens pas le flegme du roi de Pologne, qui voit tranquillement ses provinces se partager entre d’autres princes, sans paraître même tenté de s’y opposer. M. le prince de Conti, qui s’est vu si souvent au moment d’être dans une place dont il était plus digne que celui qui se l’est arrogée, doit être vivement affecté de l’état où se trouve en ce moment un royaume qu’il a regardé longtemps comme devant devenir un jour son patrimoine ; je sens par ce que j’éprouve combien son âme doit souffrir de voir ce beau pays abandonné par ses alliés et en proie à ses voisins. Peut-être aussi que le rapport qu’il y a entre la situation de mon pays et celle de la Pologne rend mes sensations plus vives et mon intérêt plus sensible… »


La lettre de Gustave III allait à une double adresse : il voulait être lu en même temps de Mme de Boufflers et du prince de Conti ; peut-être espérait-il devenir, lui aussi, une des divinités du Temple, où il voulait tout au moins des témoins de sa gloire. Le prince lui répondit, mais indirectement, par la comtesse, en exaltant son coup d’état et en critiquant ses épîtres politiques :


« M. le prince de Conti me charge d’avouer à votre majesté qu’il ne peut adhérer à un des traits de la lettre qu’elle m’a fait l’honneur de m’écrire, où il s’agit du choc de l’aristocratie avec la monarchie, et il regrette bien de n’être pas à portée de soumettre avec franchise aux lumières de votre majesté les raisons qui lui font penser qu’elle pourrait être en quelque erreur à cet égard. Il désirerait ardemment pouvoir en trouver l’occasion, aussi bien que celle d’exprimer lui-même avec quelle joie il a vu cette soudaine et brillante réputation que votre majesté vient d’acquérir, et que les hommes les plus illustres n’ont rarement obtenue que par le travail de toute leur vie. Ce sont là les propres mots de M. le prince de Conti, que je n’ai fait que copier. »


Mme de Boufflers répondait pour son compte à des leçons ex professo de libéralisme avec ce titre significatif, comme pour une dissertation ou pour un mémoire : « Effets du despotisme s’il s’établit en Suède. » Si Gustave III devient despote, il n’aura plus d’amis ; « il sera comme le roi de Prusse, qui ne trouve plus personne avec qui converser ; la vérité n’approchera plus de lui qu’avec peine, il sera obligé de la faire venir de Paris. Même sous un bon prince le despotisme ne peut servir à un bon gouvernement. » Mme de Boufflers revient avec d’excessifs développemens sur cette thèse. Elle a pris lecture de la nouvelle constitution suédoise, et