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Précisément elle vient d’apprendre le partage de la Pologne, et, au milieu de son enthousiasme pour le roi de Suède, elle ne peut retenir des paroles d’indignation contre les puissances dont il doit craindre lui-même les dangereux desseins.


« 2 septembre 1772.— Le héros de mon cœur, celui qui m’honore du titre de son amie, celui qui m’a permis de l’appeler mon chevalier, enfin le mortel le plus aimable se montre aussi le plus grand, car, je n’en doute point, sire, vous n’abuserez pas de ce pouvoir qu’un peuple enivré vous a confié sans limites !

« 1er octobre. — Je suis loin de me plaindre que vous ne m’ayez pas écrit plus tôt. Votre gloire est mon premier bonheur, vous le savez ; c’est ainsi que je vous aime : préférez-moi le plus léger besoin du dernier de vos sujets… Je suis indignée du sang-froid avec lequel on voit le brigandage que trois puissances prétendues civilisées exercent contre la malheureuse Pologne. Il n’y eut jamais une telle chose dans l’univers : trois puissances qui se réunissent pour en dépouiller une contre laquelle nulle des trois n’est en guerre ! Imaginez que ces malheureux Polonais ne se sont rassemblés que sur les promesses les plus positives de la France : j’ai vu moi-même (daignez, ne pas le répéter) les promesses les plus positives de secours à la confédération, écrites de la propre main de notre roi et de celle de M. d’Aiguillon. Quelquefois j’aime à penser que, plus heureux et plus prudent que Charles XII, mais non moins généreux, vous rétablirez un jour la balance si nécessaire, et qui déjà n’existe plus. »


Perspective ambitieuse, peu d’accord avec les faibles ressources de Gustave III, mais qu’il n’accueillait que trop volontiers et qui devait l’égarer un jour ! De telles suggestions lui étaient dangereuses, venant de chères et aimables conseillères, et au nom de cette France dont il briguait tant le suffrage. Il ne s’en souviendra que trop lorsqu’il prétendra, non-seulement rétablir à lui seul l’équilibre du Nord, mais s’opposer même au torrent de la révolution française. Gustave III eût mieux fait de se rappeler une autre sorte de conseils ; les réformes économiques et l’agriculture étaient trop à la mode pour que Mme d’Egmont les oubliât, et on la voit recommander au roi de Suède, par humanité, de planter la Dalécarlie en pommes de terre.

N’avions-nous pas raison de dire que ces lettres montreraient un aspect nouveau de l’esprit et du caractère de Mme d’Egmont ? Ce n’est plus ici seulement la brillante héroïne des fêtes de la cour et la spirituelle amie des gens de lettres : c’est aussi l’ardente interprète d’un libéralisme encore sentimental et romanesque, il est vrai, et né d’hier à l’école de Jean-Jacques, mais qui se nourrit de graves et hautes pensées. Gustave n’a obtenu d’elle une sorte de culte que parce qu’elle a vu en lui le héros futur de ses théories généreuses ;