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Je pense que vous ferez le bonheur des Suédois en étendant votre autorité ; mais, je le répète, si vous n’y mettez pas des bornes qu’il soit impossible à vos successeurs de franchir et qui rendent vos peuples indépendans de l’imbécillité d’un roi, des fantaisies d’une maîtresse et de l’ambition d’un ministre, vos succès deviendront l’occasion de ces abus, et vous en répondrez devant la postérité… Mettez-moi à portée de vous envoyer mon portrait. Je ne le puis sans la parole positive que vous n’avez ni n’aurez celui de Mme Du Barry. — 1er septembre 1771. »


On conçoit qu’avec des traits si hardis la correspondance entre Mme d’Egmont et Gustave III avait besoin d’un secret absolu. Aussi les plus grandes précautions sont-elles prises : la comtesse recommande à Gustave de ne jamais écrire par la poste que ce qu’il veut que l’on connaisse, « car il est certain, dit-elle, que toutes les lettres sont décachetées, et elles ne sont pas toujours fidèlement rendues. » Ils ont pour les lettres qui doivent échapper à tous les regards un chiffre convenu et tout un système d’enveloppes superposées avec des adresses différentes.

Gustave accomplit sa révolution, et il ne tarde pas à en faire part directement à la comtesse, en lui présentant son œuvre sous le plus beau jour :

« Voici le premier moment, madame la comtesse, où je puis vous écrire depuis le grand événement qui vient de se passer ici. Vous ne devez point être surprise de mon peu d’exactitude à vous répondre tout ce temps ; des inquiétudes trop bien fondées ne m’ont pas donné de momens où je fusse bien à moi. J’ai été obligé, pour ma propre conservation et pour celle de mon peuple, de porter un coup aussi hardi qu’heureux. Je me suis saisi du timon de l’état, et j’ai été absorbé pendant deux jours. Je viens de remettre cette puissance entre les mains des états, ou, pour mieux dire, je n’ai gardé que la puissance de faire le bien et d’empêcher la licence. Une loi stable que j’ai écrite consacre l’autorité du roi sans atteindre la domination du peuple telle que nos anciennes lois la portaient sous Gustave Ier, et sous Gustave-Adolphe. Il était temps : les attentats les plus criminels contre ma personne, les plus odieux contre ma famille, allaient se commettre, et, sans ce que j’ai fait, deux heures plus tard ma liberté était perdue et ma vie dans le plus violent danger. Dieu, qui a vu mon cœur, m’a soutenu, et j’ai trouvé dans mon peuple un attachement et un courage sans exemple. Il n’y a eu aucun cheveu de touché, et personne n’a été ni ne sera malheureux. Jamais révolution ne s’est passée plus doucement et plus tranquillement que celle-ci. »


Le jour était donc arrivé où les espérances de Mme d’Egmont allaient pouvoir s’accomplir. Elle promet à Gustave, au prix de quelques réserves, et s’il veut achever noblement son ouvrage, les plus brillantes destinées ; elle rêve pour lui un grand rôle, au milieu des bassesses ou des crimes qu’elle reproche à la politique de son temps.