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biens, sur lesquels le roi met des impositions à sa volonté. » Le second frein était précisément ce droit d’enregistrer que possédait naguère encore le parlement. « M. le chancelier est coupable et imprudent de le vouloir détruire… Combien d’hommes à qui ce simulacre de liberté faisait croire, qu’ils n’étaient pas soumis à une autorité arbitraire, — qui, à la place d’un dévouement servile dicté par la crainte, avaient encore pour les rois celui du cœur, et dont les âmes, par cette raison, conservaient l’énergie et l’honneur, qu’on ne trouve plus chez un peuple résigné au despotisme ! Est-ce donc là ce qu’il faut détruire ? La ruine du parlement n’est pas faite pour augmenter la puissance du roi. Un roi dirait en vain : Je suis le maître, ma volonté est la loi. S’il n’était pas le maître, en effet de par les lois, cette prétention n’ajouterait rien à sa puissance. Un roi habile, en détruisant tout pouvoir qui peut mettre un obstacle au sien, se gardera bien d’avertir ses sujets qu’il les a rendus esclaves de sa seule volonté, car cette idée effrayante les fait discuter sur l’injustice d’une autorité si grande, et leur fait examiner sur quel droit on se l’attribue. M. le chancelier, depuis six mois, a fait apprendre l’histoire de France à des gens qui seraient peut-être morts sans l’avoir sue. »

Ces dernières lignes sont éloquentes ; elles rappellent les célèbres paroles de Retz au prince de Condé, lorsque, lui conseillant de se mettre à la tête des cours souveraines, et, par cette alliance entre l’aristocratie princière et la magistrature, de réformer l’état pour des siècles, il lui disait : « Il n’y a que Dieu qui puisse exister par lui seul. Autrefois il existait en France un milieu entre les peuples et les rois ; le renversement de ce milieu a jeté l’état dans les convulsions… On va droit à l’établissement de l’autorité purement et absolument despotique ; ce chemin est de tous les côtés bordé de précipices… » Mmes d’Egmont et de Mesmes ont ici la même inspiration et à peu près la même vue politique. À la fin du règne de Louis XV comme au commencement du règne de Louis XIV, c’est l’intelligente expression d’un sentiment très vif de l’insuffisance de la constitution française et des dangers qui s’accumulent toujours davantage pour l’avenir ; c’est le même avertissement à la royauté et à la nation elle-même, le même vœu de voir employer ce qui subsiste de notre ancienne constitution à sauver le reste de l’édifice, gravement compromis, et, — sans parti-pris encore d’aucune imitation anglaise, — de faire entrer la France dans une voie nouvelle qui se serait rapprochée de celle où s’étaient engagés nos voisins. Retz, avec une sagacité singulière, jette un regard perçant et isolé à travers toute l’histoire de France ; nos grandes dames au contraire sont évidemment les interprètes d’une opinion désormais