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leurs témoignages avec ceux de sa biographie connue, que les charmes de sa personne ont été pour beaucoup dans sa domination souveraine. Horace Walpole, en 1765 et 1766, la dépeint comme ayant une figure assez peu régulière, mais délicieusement jolie ; il la dit aimable, gaie et de charmante conversation, delighfully pretty and civil and gay and conversable. Mme de Genlis lui trouve une grâce exquise malgré sa mauvaise santé, mais quelque chose de maniéré dans la figure comme dans l’esprit. « Je crois, dit-elle, qu’elle n’était que singulière et non affectée ; elle était née ainsi. On pouvait lui reprocher un sentiment romanesque, et elle a fait, à ce qu’il paraît, beaucoup de grandes passions ; mais ses mœurs ont toujours été pures. Les femmes ne l’aimaient pas ; elles enviaient sa séduction, et ne rendaient nullement justice à sa bonté, à sa douceur, » Sans donner toute confiance aux prétendus Souvenirs de la marquise de Créqui, on peut remarquer que, d’accord ici en plusieurs points avec Mme de Genlis, ils caractérisent avec un certain bonheur d’expression ce que Marmontel, qui n’a qu’un mot sur Mme d’Egmont, appelle assez gauchement son air de volupté. « On n’a jamais été plus étrangement déraisonnable, ni plus injustement calomniée que ne l’a été Mme d’Egmont. Elle y prêtait par un semblant de préoccupation romanesque et surtout par un air d’ennui dédaigneux et mortifiant qu’elle avait toujours avec les ennuyeux… Cette charmante personne était d’une grâce indéfinissable : un composé de charme, d’esprit et de politesse noble, de tradition parfaite et d’originalité piquante, avec des manières exquises et comme une élégance parée sous laquelle on entrevoyait un germe de mort prochaine. »

Voilà certes un curieux portrait, mais qui conserve quelque chose de vague et de mystérieux. Le peu qu’on connaît de la biographie de Mme d’Egmont ne suffit pas à interpréter tout ce qu’on dit sur elle ; où trouver dans la vie de cette grande dame, qu’on nous montre seulement reine des salons et amie des gens de lettres, de quoi justifier cette sorte d’étonnement qu’elle causait, ce charme indéfinissable, cette physionomie souvent sérieuse jusqu’à la tristesse et jusqu’au soupçon d’une mort prochaine ? Les pièces que nous empruntons à la collection des papiers de Gustave III ou à différentes archives vont nous rendre en partie les lumières qui nous manquent. Il ne s’agit cependant que de trois années, les trois dernières de Mme d’Egmont, depuis le commencement de 1771, alors qu’elle rencontra Gustave pour la première fois, jusqu’à la fin de 1773, où une lettre de sa belle-fille nous apprend sa mort. Elle a passé une bonne partie de ces trois années sur un lit de souffrance, mais avec une amie sérieuse à son chevet, Mme Feydeau de Mesmes,