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par ces picadas raboteuses et obscures nos mules avaient ralenti le pas. Je chevauchais tranquillement derrière mon guide, lorsque j’ai cru voir au milieu du chemin une bague ornée de diamans, avec un chaton en rubis. Toutes ces pierres étincelaient au milieu de l’obscurité, comme si elles avaient été traversées par les feux d’un lustre invisible. Je prie mon insouciant cicérone d’arrêter, et je mets pied à terre. Comme je me baissais, et que j’allais saisir ma trouvaille, je recule en poussant un cri de surprise : la bague s’était tout à coup redressée et se mettait à fuir, le rubis conduisant la marche et les diamans suivant à la file. Elle m’aurait peut-être échappé, si mon compagnon, plus habitué que moi à ces apparitions merveilleuses, ne l’avait saisie. Je l’ai placée dans ce flacon avec quelques morceaux de bois mort dont elle fait sa nourriture, à ce qu’assure le noir. Tenez, voyez, n’est-ce pas un vrai bijou vivant ?

En même temps il secouait légèrement le flacon qu’il tenait à la main. Le flacon s’illumina tout à coup, et je pus voir distinctement un animalcule composé de douze ou treize segmens à la suite l’un de l’autre, comme dans les perce-oreilles. Le premier, qui formait la tête, brillait comme un rubis, et les autres semblaient autant de diamans. Parfois il se repliait sur lui-même, et alors on eût dit un petit anneau orné de brillans avec un magnifique chaton. C’était un lampyre un peu plus gros et plus phosphorescent que ceux qu’on voit pendant les nuits d’été briller dans nos campagnes. Les nègres, lui ont donné le nom de bicho de pao podre (l’animal du bois pourri). Chaque illumination ne durait que quelques secondes.

— Tous voyez que je ne vous en impose pas, reprit l’Allemand, il y a de quoi faire fortune avec une collection de ces petites bêtes-là. J’ai déjà en tête un projet ; mais comme il se fait tard, et que je-suis mort de fatigue, je vous conterai cela demain.

Je me retirai, sentant, moi aussi, le besoin de sommeil ; mais nous n’étions ni l’un ni l’autre au bout de nos surprises. J’étais déjà entièrement assoupi lorsque je crus entendre mon compagnon, dont la chambre touchait à la mienne, s’agiter d’une façon inusitée. Bientôt un crescendo de jurons qui s’entre-croisaient en français, en portugais et en allemand me convainquit qu’il se passait quelque chose de sérieux. Dans sa précipitation à courir les fourrés, les taillis, les buissons, l’infortuné ne s’était pas aperçu que ses habits se recouvraient chaque fois de légions de carrapatos (acarus americanus). À peine s’était-il couché, qu’il se sentit dévoré comme s’il se fût trouvé dans un bain de feu. Il fallut réveiller, les noirs, faire apporter un bain d’eau froide et arroser son corps d’alcali, afin d’amortir l’inflammation. Je me suis convaincu depuis, par une longue expérience, que ces maudits insectes sont d’ordinaire le produit le plus certain que les voyageurs retirent de leurs