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étendues sur le sol au milieu d’une mare de sang. Un parti d’Indiens nous avait aperçus la veille, et, profitant de la nuit, avaient coupé en silence les jarrets de nos bêtes.

— C’était donc pure sauvagerie, lui dis-je, puisqu’ils ne vous ont pas attaqués vous-mêmes, et que les mules ainsi mutilées ne pouvaient leur servir ?

— Nullement : ils ne nous ont pas attaqués, parce qu’ils ne tenaient pas à faire connaissance avec nos carabines, et que d’ailleurs notre argent ne leur servirait à rien dans le désert ; mais ils ont besoin de fer pour ferrer leurs chevaux, et ils trouvent celui de nos montures tout prêt, sans compter que la caravane, si petite qu’elle soit, emporte toujours avec elle des provisions ou des objets d’échange dont elle est forcée d’abandonner la plus grande partie. C’est donc pour eux double profit.

Il faut ajouter, pour être juste envers les Brésiliens, que, si l’exploitation du fer n’a pas encore pris les proportions qu’on est en droit d’attendre de l’abondance de leurs mines, la faute en est surtout aux barbares ordonnances de la cour de Lisbonne, qui défendaient sous peine des présides toute exploitation autre que l’or. Ce n’est que depuis l’arrivée du roi dom João VI que l’on a pu songer à tirer parti de ces richesses. Les chemins de fer aidant, nui doute que cette industrie ne rapporte un jour plus aux Brésiliens que les sables aurifères, depuis longtemps épuisés, et les diamans, dont il nous reste à parler.


III

Pendant que les mamelucos des plaines de Piratininga sillonnaient le désert à la recherche de l’Eldorado, d’autres coureurs d’aventures non moins hardis partaient d’un autre côté, se dirigeant vers les montagnes du Pérou. Ils avaient entendu parler d’émeraudes et autres pierres précieuses trouvées dans les Andes par leurs voisins de Castille, et ni les uns ni les autres n’hésitaient à croire qu’il y eût dans quelque contre-fort de la Cordillère une serra das esmeraldas (chaîne des émeraudes) dont les flancs recelaient des mines inépuisables de ces pierres précieuses. Cette croyance, ridicule en apparence, avait pourtant quelque fondement. Les pierres fines ne sont pas rares dans les ruisseaux et les sables de cette immense péninsule ; les améthystes particulièrement y forment quelquefois, dans certaines régions granitiques, des grappes fort belles et assez bien soutenues. Il n’y aurait donc rien d’impossible à ce qu’une bande de sertanistas (coureurs du désert) fût tombée, chemin faisant, sur un banc d’améthystes, peut-être même de simples cristaux