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On n’a pas oublié sans doute les folles croyances qui ont suivi la découverte récente des gisemens aurifères de la Californie. Éblouis à la vue des richesses accumulées dans le lit des torrens qui descendaient des collines, les premiers mineurs californiens ne doutèrent pas qu’il n’y eût quelque part, sur les hauteurs qui dominent les premiers étages de la cordillère, une source de métal précieux d’où s’étaient échappés tous ces sables aurifères. Cette croyance, avivée chaque jour par de nouvelles découvertes, devint bientôt un article de foi chez ces natures ignorantes et possédées de la fièvre de l’or. Les plus intrépides, quittant les alluvions des vallées, gravirent les flancs escarpés de la Sierra-Nevada (chaîne neigeuse), à la recherche du pays de leurs rêves. L’emplacement, les caractères -physiques de l’eldorado) de la mystérieuse source aurifère, variaient au gré de la fantaisie des explorateurs. Les uns se figuraient une montagne d’or qu’ils se proposaient d’attaquer avec la mine, comme ils auraient fait d’une carrière de pierres. D’autres se représentaient de puissans filons dont les affleuremens seraient venus aboutir à l’origine des ruisseaux. Plusieurs enfin rêvaient un lac dont le trop-plein se serait épanché dans les vallées. Telles étaient les illusions qui régnaient, il y a quelques années à peine, parmi les explorateurs californiens.

Qu’on se reporte maintenant à trois siècles en arrière, au temps où les premiers conquistadores se trouvèrent tout à coup éblouis par la magnificence de la cour des fils du soleil. En voyant la profusion de ce métal précieux, dont on faisait les ustensiles les plus vulgaires chez les Indiens les plus pauvres, ils n’hésitèrent pas à croire à des mines inépuisables, à quelques carrières d’or massif, cachées dans les nombreux recoins de la cordillère, et cet endroit privilégié s’appela le lieu de l’or, l’Eldorado. Il ne restait plus qu’à en préciser la situation, et on le plaça dans les régions non encore explorées, c’est-à-dire à l’est des Andes, dans ces contrées inaccessibles d’où sortent les premiers affluens de l’Amazone. Plusieurs circonstances concouraient à rendre admissible cette supposition. Les Indiens, désireux de se débarrasser au plus vite de leurs terribles vainqueurs et connaissant leur soif insatiable pour l’or, indiquaient de la main le revers des montagnes. D’un autre côté, les premiers Castillans qui arrivèrent dans la capitale des Muyscas avaient vu les édifices recouverts de lames étincelantes, et ne doutèrent pas que ce ne fussent là autant de plaques d’or. Enfin l’expédition d’Orellana vint achever de convaincre les plus incrédules. Envoyé par le frère de Pizarre en reconnaissance avec une barque et cinquante Espagnols dans le Napo, un des affluens du Haut-Amazone, il voulut, lui aussi, tenter les aventures. Au lieu d’attendre