Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/323

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

simulent une rose : emportée par les vents, la plante détachée roule au loin sur le sable et rappelle au voyageur chrétien le désert où vécut, saint Jean. Dans les dépressions où le sol conserve un reste d’humidité, la terre se couvre d’un gazon fin du plus beau vert, les jujubiers se garnissent de feuilles, les tamaris, devenant de véritables arbres, balancent leurs panaches de fleurs blanches ou roses, et les tiges rampantes de la coloquinte[1] courent sur le sol chargées de fruits semblables à des boules. C’est dans ces prairies sahariennes que l’Arabe nomade mène paître ses moutons et ses chameaux pendant l’hiver. Sa tente noire et basse simule de loin un tertre arrondi ; mais l’aboiement lointain des chiens avertit que le désert est habité temporairement par une de ces familles de patriarches dont la vie pastorale, décrite dans la Bible, a charmé notre enfance.

Cette portion du désert n’est pas complètement inanimée. On rencontre souvent une jolie alouette[2] d’un jaune cendré qui vole sans cesse de touffe en touffe ; de temps en temps un oiseau de proie plane dans les airs ; une troupe de gazelles à peine entrevue disparaît à l’horizon, une gerbille solitaire fuit en sautillant, des lièvres[3] partent sous les pieds des chevaux, ou des perdrix s’enlèvent bruyamment ; l’on remarque sur le sol les larges traces du pied de l’autruche, car sa taille élevée lui permet d’apercevoir de loin les caravanes et de fuir à leur approche. Cependant ces rencontres sont rares loin des oasis. En hiver, une foule d’animaux, les reptiles en particulier, s’enfouissent sous le sable. Ainsi nous n’avons vu ni le varan[4], ni le fouette-queue, ni le céraste[5] ou vipère cornue si redoutée des Arabes, ni les autres serpens qui habitent le Sahara. La robe des animaux du désert est d’une singulière uniformité. Point de couleurs vives : tous sont gris, d’un jaune pâle ou d’un blanc jaunâtre, rappelant les teintes du sol sur lequel ils vivent. Les insectes sont noirs, ce sont presque tous des coléoptères qui au moindre danger disparaissent dans le sable.

Le désert d’érosion. — De grands courans, avons-nous dit, ont sillonné le Sahara. Le point de départ de ces courans est dans les montagnes qui le limitent au nord, les Aurès et les Zibans. Ils ont entamé le sol et ont creusé de larges sillons qui se rejoignent, se confondent et forment un réseau dont les plateaux que nous avons

  1. Cucumis colocynthis.
  2. Malurus Saharœ.
  3. Lepus isatellinus.
  4. , Varanus arenarius.
  5. Cérastes cornutus.