Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
264
REVUE DES DEUX MONDES.

caractère de la musique religieuse. On peut assurer que cette question remonte à la naissance des sociétés et des cultes. De nos jours, la musique religieuse a été le sujet d’un débat qui dure encore. Ce qui est certain, c’est que le culte, de quelque religion qu’il relève, ne peut se passer du concours de l’art qui exprime le mieux les sentimens intimes de l’âme. « Le culte est d’une telle importance, dit M. Vinet, pour le maintien de la religion parmi les masses, qu’à lui seul il fait à cet égard ce que la vérité ne ferait pas aussi sûrement. Il est important de donner un corps aux sentimens et aux idées fondamentales de la religion. La vie ne se passe pas plus de symboles que le langage de métaphores ; le rite est une métaphore en action… L’adoration est un état de l’âme que le chant seul peut exprimer. » On ne peut mieux définir la nécessité du culte ni parler plus noblement du rôle que joue la musique dans le drame liturgique.

Écoutons maintenant Mendelssohn sur un sujet qui a été la préoccupation de toute sa vie d’artiste. Mendelssohn était un véritable Allemand, car il raisonnait sur son art avec une pénétration qui aurait fait de lui un critique remarquable. Dans une lettre qu’il écrivit à un ministre protestant nommé Bauer, on remarque ce passage : « Une vraie musique religieuse, qui doit suivre les cérémonies du service divin, — une semblable chose est presque impossible. La difficulté n’en est pas seulement de savoir quelle place doit occuper la musique dans les cérémonies… En fait de musique religieuse, je ne connais que celle qu’on chante à la chapelle papale, où le chant n’est que l’accessoire des épisodes de la cérémonie. » Voilà qui est bien, voilà qui est juste. Il ajoute : « Pour les oratorios, il faut un sujet précis et des personnages caractérisés. Si tu me réponds : que faire de notre pauvre église ? — je te dirai alors quel étonnement j’ai éprouvé d’entendre chanter une messe catholique dont le caractère était théâtral. Ce procédé commence à Pergolèse, à Durante, qui plaçaient dans les Gloria et dans d’autres parties des trilles ridicules qu’on trouve dans les finales des obéras modernes. Si j’étais catholique, je commencerais ce soir même à m’essayer sur le thème que je vous indique, et quel que fût le résultat de mes efforts, je n’en aurais pas moins une messe qui serait dans l’esprit de l’église. Pour le moment, je ne veux rien entreprendre dans ce genre ; un jour peut-être, quand je serai plus vieux[1]… »

Le bel esprit de Mendelssohn, dont l’érudition musicale était assez restreinte, a eu deux préoccupations dans sa vie : écrire un opéra, aborder le théâtre, fut un désir qui ne l’abandonna jamais, et on vient de voir que l’appropriation de la musique au culte fut aussi un sujet qui hanta l’imagination de l’auteur du Paulus, de l’Elie, et d’autres œuvres considérables. Quoi qu’il en soit, on ne peut qu’admirer un grand artiste qui aspire à faire des conquêtes nouvelles dans ce vaste empire de la musique où Mendelssohn occupe la première place après les dieux Haydn, Mozart, après Beethoven, immense, varié comme la nature, et qu’on ne peut comparer qu’à Shakspeare.


P. Scudo.


V. de Mars.
  1. Cette lettre est datée du 12 janvier. 1835. Mendelssohn était alors à Düsseldorff.