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qui doit lui causer une rare joie. Il lui arrive pour la première fois de faire quelque chose par elle-même en échappant à toute influence étrangère, en bravant au contraire et en mettant en déroute les influences étrangères les plus puissantes. Nous ne pensons pas que le succès divise bientôt les Allemands, car chacun trouve dans ce succès un profit incontestable. Les cours secondaires se retrempent dans cette campagne, où elles se sont associées aux aspirations nationales les plus ardentes, et ne doivent plus redouter la menace du mouvement unitaire ; l’Autriche, qui est allée à la lutte avec le moins d’entrain, doit croire qu’elle s’est désormais assuré l’aide de l’Allemagne entière contre tous les soulèvemens intérieurs, contre toutes les agressions étrangères auxquelles elle est exposée en Hongrie ou en Vénétie. Et la Prusse ! N’a-t-elle pas acquis la gloire que recherche surtout sa politique traditionnelle ? Comme le rôle de la Prusse était effacé depuis 1815 ! Jamais depuis lors la Prusse, nation militaire, n’avait brûlé une amorce, jamais elle n’avait pris d’initiative importante dans les affaires européennes ; elle s’était habituée à n’être qu’une timide doublure de la Russie, et, dans ses luttes avec l’Autriche, à finir presque toujours par céder, — La Prusse, disaient les importans de Vienne, les goguenards de Paris et les dédaigneux de Londres, n’est pas la cinquième des grandes puissances ; elle n’est que le premier des états de second ordre. — Quelle réplique aux mauvais plaisans que la politique de M. de Bismark ! quelle revanche de la conférence d’Ollmütz que la conférence de Londres ! M, de Bismark traîne l’Autriche à sa suite ; il n’écoute pas les doléances de la Russie, il se moque des menaces anglaises. C’est lui qui a conduit lord Russell dans le guet-apens des négociations allemandes ; c’est lui qui avec une feinte bonhomie a fait croire au ministre anglais que la diplomatie anglaise pourrait venir à bout de l’infatuation de la diète de Francfort, et qui a ainsi amené lord Russell à écrire tant de dépêches qui n’ont abouti qu’à soulever contre l’Angleterre toutes les animosités allemandes. M. de Bismark a reçu une étincelle du génie et du bonheur de Frédéric II. Il a combiné le démembrement du Danemark avec un peu de l’astuce que Frédéric mit à préparer le partage de la Pologne, et il n’a pas eu plus de scrupules à conquérir le Slesvig que n’en montra Frédéric en dérobant la Silésie. Un pareil homme voudra, soyez-en sûr, faire durer son triomphe et ne bornera point son ambition à la réussite d’une seule affaire et au succès d’un jour. Il ne manque au concert de l’Allemagne que l’adjonction de la Russie pour que les forces réactionnaires de l’Europe soient reconstituées. La réaction a son organisation toute prête dans le concert allemand, et la réaction a aussi son politique dans M. de Bismark.

Les traits généraux de la situation politique que crée l’échec de la conférence de Londres effacent par leur importance l’intérêt qui peut s’attacher au sort du ministère anglais. Il est hors de doute que l’Angleterre entière veut la paix, et n’aurait jamais voulu entrer seule dans une guerre contre l’Allemagne ; il n’est pas moins certain cependant que l’insuccès de