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dances ont des représentans connus au sein du cabinet britannique ; on les retrouve au fond chez tous les Anglais de notre temps. C’eût donc été à nos yeux un tour de force que d’entraîner par le concours de la France l’Angleterre dans une guerre contre l’Allemagne. Nous le répétons, nous ne sommes point étonnés qu’au dernier moment, quand on s’est vu en face de la guerre, d’une guerre qu’on serait seul à entreprendre, les sympathies généreuses et bruyantes auxquelles on avait donné carrière se soient brusquement refroidies devant l’examen sévère des intérêts.

Alors on a fait cette récapitulation pénible des difficultés qui entourent l’Angleterre, et que lord Russell est venu réciter devant la chambre des lords avec un froid courage digne d’une meilleure cause. On s’est aperçu qu’on encourrait sans compensation la haine de l’Allemagne, qu’on ne pouvait pas lutter avec des vaisseaux contre les armées germaniques, qu’il était imprudent de se mettre l’Allemagne sur les bras quand à tout moment on était exposé à avoir des querelles avec les États-Unis, des complications dans l’Inde ou en Chine ; qu’on ne pouvait faire de mal à l’Allemagne qu’en essayant contre l’Autriche des diversions qui mettraient l’Europe en feu ; que la cause du Danemark, quoiqu’elle fût digne de sympathie, n’était pas, après tout, aussi juste qu’on l’avait dit d’abord ; que le Danemark avait commis des fautes ; que, puisque la Russie et la France gardaient obstinément la neutralité, l’Angleterre, qui n’avait dans la question ni plus de responsabilités encourues, ni de plus grands intérêts engagés que ces puissances, ferait sagement de suivre leur exemple. C’est alors aussi que lord Palmerston a clos les trop nombreuses rodomontades de sa carrière par une déclaration où la reculade et la bravade s’unissent d’une façon odieusement burlesque ; c’est alors qu’il a réservé l’intervention de l’Angleterre pour le cas où les Allemands seraient disposés à prendre d’assaut Copenhague, à mettre la ville à sac et à faire le roi de Danemark prisonnier ! La vaillance était merveilleuse à marquer si loin l’étape de sa retraite, lorsque, le jour même, le comte Russell avait reçu du comte Apponyi l’assurance formelle que la Prusse et l’Autriche ne comptaient point pousser leurs conquêtes sur le Danemark au-delà de la terre ferme ! Il est vrai qu’en rapportant, cette assurance, lord Russell a pris soin d’en détruire l’effet moral en disant que, quelque respect qu’il eût eu jusqu’alors pour l’Autriche et pour la Prusse, il est convaincu qu’on ne peut plus désormais se fier à leurs déclarations. Ainsi voilà un grand gouvernement qui proclame solennellement qu’il n’est plus possible de croire à la parole d’honneur de deux autres grands gouvernemens ; voilà la confiance réciproque et la mutuelle estime que s’inspirent trois des premières puissances européennes ; voilà l’état moral que l’on continue d’appeler la paix de l’Europe !

La paix matérielle subsiste sans doute, puisque tout le monde s’accorde à livrer le Danemark sans défense aux entreprises de l’Allemagne ; mais l’échec de la conférence et les révélations qui ont suivi ont déchiré le dernier voile qui couvrait les infirmités de cette paix. Cette paix n’est accom-