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nérales. Depuis l’époque du partage de la Pologne, l’opinion éclairée et équitable de l’Europe n’a point eu à faire un aveu plus humiliant et plus formel de son impuissance. Et ici il ne s’agit point de la faiblesse de cette opinion publique vague et indéterminée qui se forme et flotte dans la tête de quelques penseurs ou au sein des masses, dans ces régions en un mot où ne résident ni la responsabilité ni le pouvoir politiques ; il s’agit au contraire de l’opinion délibérée, arrêtée de quelques-uns des plus grands états de l’Europe. Sauf des réserves de très peu d’importance, la France, l’Angleterre, la Russie, la Suède, ont été d’accord pour reconnaître la justice de la cause du Danemark. Leur opinion n’a point été une barrière assez forte pour contenir l’esprit d’agression de l’Allemagne. Quand l’Autriche et la Prusse, il y a quelques mois, entrèrent dans le Slesvig, ce fut déjà un sujet de profond étonnement que ces puissances osassent accomplir une résolution aussi violente malgré les observations de l’Angleterre, de la Russie et de la France ; mais alors la nature du conflit et l’objet de l’agression austro-prussienne n’étaient point encore bien connus. La Prusse et l’Autriche ne répudiaient point encore le traité de 1852 ; elles ne parlaient que de prendre possession d’un gage, afin d’obtenir les satisfactions qu’elles demandaient au gouvernement danois. On a fait depuis lors bien du chemin. Les puissances neutres ont, dans la conférence, réduit la querelle entre l’Allemagne et le Danemark à une question presque insignifiante de territoire. Des deux principes qu’elles avaient primitivement défendus, celui de l’intégrité et celui de l’indépendance de la monarchie danoise, elles ont abandonné le premier au profit de l’Allemagne, et n’ont réservé que le second au profit du Danemark. Elles ont proposé à l’Allemagne le Holstein et la portion allemande du Slesvig, et n’ont demandé pour le Danemark qu’une frontière qui assurât son indépendance. Le Danemark se résignait à l’abandon du Holstein et au partage du Slesvig ; l’Allemagne, par l’organe de la Prusse, acceptait le principe du partage. Le débat ne portait plus que sur une ligne de frontière : la question était de savoir si cette ligne serait tracée de telle sorte que la région du Slesvig où les populations danoise et allemande sont mêlées appartiendrait à l’Allemagne ou au Danemark. Les neutres étaient d’avis que la frontière fût tracée dans le sens le plus favorable au Danemark, et notre représentant, M. de La Tour d’Auvergne, en donnait la raison en excellens termes. « Considérant l’impossibilité absolue de prendre la nationalité comme règle sur ce point, nous pensons, disait-il, qu’il serait juste que le différend fût tranché en faveur du parti le plus faible… Mon gouvernement considère également comme essentiel que la frontière soit tracée conformément aux nécessités de la défense du Danemark, car ces nécessités doivent être prises en considération par la conférence, dont la mission est, tout en donnant satisfaction aux demandes légitimes de l’Allemagne, d’avoir soin que les nouveaux arrangemens garantissent suffisamment l’indépendance du Danemark et les intérêts de l’équilibre dans le nord de l’Europe. » La Prusse voulait que la frontière donnât à l’Allemagne