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la guerre leur soient plus utiles que leurs propres arsenaux et leurs propres ports, puisqu’ils sont hors de l’atteinte de l’ennemi, si une nation sans marine, et dont toutes les côtes sont hermétiquement bloquées, peut improviser au loin une flotte et détruire le commerce de ses adversaires, si un navire peut acquérir une nationalité sans jamais entrer dans les eaux nationales, qui doit se sentir le plus menacé par de pareilles doctrines ? Que disait pourtant le lord chief baron dans son long résumé de l’affaire de l’Alexandra ? « Quand deux belligérans sont en guerre, un pouvoir neutre peut, sans violer la loi internationale ni le foreign enlistment act, leur fournir des munitions de guerre, de la poudre, des armes de toute espèce, en un mot tout ce qui peut servir à la destruction des humains. Pourquoi les vaisseaux seraient-ils une exception ? Mon opinion, c’est qu’ils ne doivent point l’être. »

Il y a pourtant une différence notable, profonde entre ce qu’on peut nommer les matériaux et les instrumens de la guerre. Les armes, la poudre, les munitions ne sont que des matériaux ; un vaisseau de guerre, un corps d’armée sont des instrumens actifs ou du moins prêts à l’action. Dans une guerre continentale, la neutralité n’est point violée si les neutres vendent aux belligérans armes, vivres, vêtemens, draps, souliers, tout ce qui sert à une armée ; elle est violée si des neutres, formés en régimens, armés, équipés, tout prêts à prendre l’offensive, passent leur frontière pour se joindre à l’un des belligérans. De même, dans une guerre maritime, les neutres peuvent expédier aux belligérans de la contrebande de guerre, car ce droit est contre-balancé par le droit de blocus et le droit de visite ; mais un navire de guerre échappe à ces risques : il saisit au lieu d’être saisi ; s’il n’est point assujetti à chercher sa commission dans un port belligérant, il commence les hostilités aussitôt qu’il sort des eaux où, à l’abri de la neutralité, il a été construit à loisir. Ni l’Alexandra ni les deux formidables vaisseaux blindés que le gouvernement anglais a saisis ensuite à Liverpool n’auraient fait un premier voyage pacifique à travers l’Atlantique pour aller chercher dans un port du sud, à travers l’escadre de blocus, dans un port confédéré, un nom, un capitaine, un drapeau, et pour y faire, qu’on me passe le mot, la « veillée des armes. » Ces navires n’étaient pas destinés à être de simples corsaires ; c’étaient des vaisseaux de guerre blindés, armés de puissans éperons, qui devaient opérer contre l’escadre de blocus américaine et les ports du nord. C’est le 11 juillet 1863 que M. Adams en dénonça la construction à lord Russell, et il accompagnait sa dépêche de dépositions tendant à prouver que les navires alors en construction étaient destinés aux confédérés. M. Adams ne cacha point à lord Russell que le gouvernement et le peuple des États-Unis considéreraient