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qui plaidait pour le gouvernement, soutint que la saisie était justifiée du moment que le navire était destiné à la marine confédérée. La cour posa au jury le dilemme suivant : « Si vous croyez que l’objet des défendeurs était d’équiper et d’armer le navire à Liverpool, l’acte de neutralité est violé ; mais si vous croyez que leur objet était seulement de bâtir un vaisseau pour obéir aux termes d’un contrat, sans s’occuper de ce qu’en feraient les acheteurs, alors l’acte n’a pas été violé. » Le jury admit cette dernière alternative, et les défendeurs furent acquittés. L’attorney-général fit immédiatement appel, et la meilleure preuve que le gouvernement n’adopta point la doctrine de la cour, c’est que plus tard il ordonna la saisie de deux nouveaux navires blindés construits à Liverpool pour les confédérés, bien qu’ils n’eussent pas encore reçu leur armement. En se reportant aux termes de l’acte de neutralité anglais, on s’assure en effet qu’il condamne toute participation non autorisée à la préparation d’un navire de guerre, dès que ce navire doit servir à des hostilités contre une puissance belligérante. On a beaucoup critiqué pendant le procès de l’Alexandra la rédaction de l’acte de neutralité, et l’un des avocats de la défense s’est vanté de faire passer facilement une flotte de guerre à travers les articles de cet acte ; le bon sens toutefois aurait de la peine à y passer avec elle. Si la doctrine de la cour de l’Échiquier était admise, si l’acte de neutralité ne pouvait frapper que les navires ayant complété leur armement à un canon et à un boulet près, s’il ne pouvait les arracher qu’aux mains de ceux qui de leur personne se prépareraient à faire acte de belligérans, cet acte serait absolument illusoire. Le législateur ne saurait assez se hâter de protéger la neutralité anglaise par une loi efficace. On s’attendait assez généralement à voir casser l’arrêt de la cour de l’Échiquier ; mais le procès de l’Alexandra vint bientôt échouer sur de pures questions de forme. La chambre des lords, consultée après la chambre de l’Échiquier, a décidé le 5 avril que les juges de la cour de l’Échiquier avaient laissé donner une forme vicieuse à l’appel de la couronne. Le lord-chancelier, en rendant son jugement, n’avait-il pas le droit de dire que cette bruyante affaire de l’Alexandra lui rappelait la montagne en travail accouchant d’une souris ? Le pays attendait une interprétation définitive et solennelle de la loi par les premières autorités judiciaires du royaume, on ne l’a occupé que de susceptibilités techniques. Malheureusement la décision de la chambre des lords rend toute sa force à l’arrêt primitif de la cour de l’Échiquier, arrêt qui mécontente presque tout le monde, et dont les moins clairvoyans aperçoivent aujourd’hui la dangereuse portée. Si le commerce des navires de guerre ne doit plus souffrir aucune entrave, si les belligérans peuvent trouver chez les neutres des arsenaux, des ports, qui pendant toute la durée de