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de Cherbourg. Ses avaries étaient insignifiantes : deux boulets amortis par le blindage avaient laissé leur trace sur le travers de tribord en pleine machine, et deux autres boulets avaient atteint, sans la détruire, la mèche du gouvernail.

La fin tragique de l’Alabama ne doit point faire oublier le rôle que ce navire a joué pendant deux ans : les seuls trophées du capitaine Semmes ont été, jusqu’au combat de Cherbourg, les chronomètres et les dollars enlevés aux paisibles capitaines des navires marchands. Le dommage causé au commerce américain par l’Alabama pendant sa courte carrière est évalué à 80 millions de francs ; mais ce chiffre n’est qu’approximatif. D’ailleurs il ne suffit pas d’additionner la valeur de tant de beaux navires, de tant de riches cargaisons, il faut encore tenir compte de ce fait qu’un grand nombre d’armateurs américains ont été obligés de vendre leurs vaisseaux à vil prix, le plus souvent dans des ports anglais,[1] puis prendre en considération la hausse prodigieuse de l’assurance de la guerre et la perturbation générale causée dans tous les rapports commerciaux des États-Unis.

Ceux qui portent la responsabilité des affaires publiques en Angleterre ont toujours compris les dangers d’une situation faite pour exciter une si légitime irritation aux États-Unis. Les esprits politiques n’ont pu s’empêcher de faire un retour sur les intérêts de la Grande-Bretagne, et d’envisager avec une sorte d’effroi les avantages tout nouveaux que la vapeur assure aujourd’hui aux corsaires dans une guerre maritime. Une première satisfaction a été donnée au gouvernement américain par la saisie de l’Alexandra, qui avait été construit pour les confédérés à Liverpool, dans les chantiers de M. Miller. Cette saisie eut lieu le 5 avril 1863, et l’affaire fut portée au mois de novembre devant la cour de l’Échiquier, présidée par le lord chief baron. Il fut prouvé dans les débats que l’Alexandra était un navire de guerre, prêt à recevoir son armement, construit aux termes d’un marché fait avec des agens confédérés et pour le service de la marine confédérée. L’attorney-géné- ral,

  1. , Le nombre des vaisseaux vendus par des Américains à des capitalistes anglais est, d’après les documens officiels
    Vaisseaux Tonnage
    1858 33 12,684
    1859 49 21,308
    1860 21 13,638
    1861 126 76,673
    1862 135 64,578
    1863 338 252,579

    Le chiffre extraordinaire de l’année 1863 s’explique par la frayeur inspirée au commerce par les corsaires. — En 1860, les deux tiers des transports nécessaires au commerce des États-Unis se faisaient sur navires américains ; en 1863, les trois quarts de ces transports ont été faits sur des navires étrangers.