Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à Point-Lynass, puis se rendit à Terceire, dans les Açores. Il y fut rejoint par une barque nommée Agrippina, qui était sortie de la Tamise pour lui apporter la plupart de ses canons et de ses munitions. Les autorités portugaises voulurent empêcher le transbordement ; mais l’Alabama se donna comme un navire anglais occupé à retirer la cargaison de l’Agrippina, parce que cette barque était en danger de sombrer. Bientôt arriva de Liverpool un troisième navire, un steamer, le Bahama, qui amenait à l’Alabama son capitaine, cinquante hommes d’équipage, des canons, des affûts et des munitions de guerre. Le capitaine prit le commandement, hissa le pavillon confédéré, et lut à l’équipage, presque exclusivement composé de matelots anglais, la commission qu’il avait reçue de M. Davis. Nous avons sous les yeux un petit volume intitulé la Croisière de l’Alabama, renfermant le journal d’un des officiers qui ont été à son bord et qui l’ont quitté. On se sent pris de tristesse en lisant ces pages où reviennent avec une désespérante monotonie les visites de navires, les captures, les incendies. Rien ne rappelle dans ces notes sinistres les souvenirs demi-poétiques que la plupart des imaginations attachent encore au nom de corsaire. Point de combats aventureux contre un ennemi supérieur en nombre ! Nulle trace d’ardeur patriotique chez des équipages étrangers et mercenaires, parmi lesquels une discipline toute militaire fait seule régner l’ordre ! Dans tout le cours de ses croisières, l’Alabama n’a rencontré que deux navires de guerre du nord. La première fois, c’était le 11 janvier 1863, dans le golfe du Mexique, à peu de distance de Galveston. Le Hatteras, un steamer de 9 canons, commandé par le lieutenant Blake, se dirigeait vers ce port ; il faisait partie de la petite escadre chargée d’opérer sur les côtes du Texas. Aussitôt qu’on aperçut le Hatteras à bord de l’Alabama, tout fut disposé pour le combat. On attendit les premières ombres de la nuit, et le corsaire confédéré vint silencieusement passer auprès du vaisseau fédéral. On lui demanda son nom ; le capitaine Semmes répondit : « Le steamer de sa majesté britannique Petrel, » et au moment où le Hatteras se nommait lui-même, il lui lâcha toute sa bordée. La lutte ne dura que quelques instans : le steamer fédéral, surpris et écrasé par une artillerie supérieure, fut coulé et son équipage fait prisonnier.

Les côtes de France ont vu le deuxième et dernier combat de l’Alabama. Depuis quelque temps, on le disait parti pour les mers de l’Inde et de la Chine, et l’on pensait même qu’il irait épier dans les parages de la Californie les riches steamers chargés de l’or du Sacramento, quand soudain on le vit arriver dans les eaux françaises et entrer en rade à Cherbourg. Il fut suivi bientôt du Kearsage, bâtiment fédéral commandé par le capitaine Winslow, qui depuis longtemps s’acharnait inutilement à sa poursuite. Le capitaine