Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même un navire de guerre, et de l’envoyer dans tous les ports, même dans les ports d’un belligérant, pour l’y vendre soit à des particuliers, soit à un gouvernement. Il est bien entendu qu’un tel navire est essentiellement de la contrebande de guerre, et par conséquent court risque d’être saisi avant d’arriver à destination par les croiseurs belligérans ; mais dès que la destination d’un tel navire n’a rien d’incertain ni d’aléatoire, dès que la résolution a été prise de l’employer comme instrument de guerre et de ne le céder qu’à un dernier acheteur qui lui donne cet emploi, ce n’est plus seulement le belligérant qui a le droit de le confisquer, la puissance dont ces intentions hostiles mettent la neutralité en péril a elle-même le droit de retenir ce vaisseau dans ses ports, ou, s’il en sort, de nier la validité de ses captures. M. Cairnes, adoptant la distinction faite entre ce que les cours américaines appellent l’aventure commerciale et l’opération belligérante (ou de guerre), fait toutefois remarquer que, dans la pratique, ces deux élémens se mêlent en proportions variables, de telle façon qu’il devient souvent difficile de décider lequel des deux donne au fait de la vente d’un navire son caractère principal. Il nous paraît néanmoins que le devoir d’une cour internationale n’est pas de comparer, de mesurer ces deux élémens : l’intention hostile, quelque importance qu’ait eue d’ailleurs, la transaction commerciale, rejette toujours cette dernière au second plan. Tout ce qui peut être considéré comme une première tentative de violation de la neutralité a une telle gravité que le juge ne doit plus s’occuper d’autre chose.

On a vu de quelle manière le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire aux États-Unis ont compris et rempli les devoirs de la neutralité. Le gouvernement s’est montré l’exécuteur fidèle et souvent sévère du foreign enlistment act, la cour suprême l’a interprété dans le sens littéral et rigoureux, et n’a jamais cherché à fournir aux citoyens des États-Unis les bénéfices de cette neutralité frauduleuse que flétrissait Marshall. Il faut rechercher cependant de quelle manière a été appliqué en Angleterre le foreign enlistment act, copié presque mot pour mot sur le statut américain. Pour retrouver la première application de cet acte, on doit remonter à 1828. À cette époque et pendant la lutte ouverte entre dona Maria, recon-nuejpar le gouvernement anglais, et dom Miguel, des réfugiés portugais s’embarquèrent à Plymouth, annoncèrent leur départ pour le Brésil, mais partirent en réalité pour Terceire, demeurée fidèle à la reine. Aussitôt que lord Wellington, alors ministre, apprit le départ de cette expédition, il envoya une escadre à sa poursuite. On joignit les transports près de Terceire, et le débarquement fut empêché. Dans le parlement, le ministère fut violemment attaqué par l’opposition ; mais il déclara que « l’expédition avait frauduleusement