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neutres à l’état de force ou de faiblesse de notre marine. Est-ce au lendemain des plus grandes victoires navales de l’Angleterre que son code maritime a été le moins oppressif ? et n’est-il pas naturel qu’une nation soit plus chatouilleuse sur le droit des neutres lorsqu’elle est moins bien préparée à la guerre maritime, et d’autant plus préoccupée des droits des belligérans qu’elle a plus de confiance dans la force de ses vaisseaux ? Mais les devoirs internationaux demandent à ceux qui veulent les accomplir quelques sacrifices : ce n’est pas sur des intérêts étroits et changeans qu’ils doivent être fondés, c’est sur le sentiment supérieur de l’équité et sur la notion sévère du droit. Les droits des neutres et ceux des belligérans se limitent mutuellement et se définissent les uns par les autres. La ligne de démarcation n’est point, il est vrai, facile à tracer : elle varie d’âge en âge. Plus les sociétés sont policées et humaines, plus le droit des gens est favorable aux neutres, car la guerre devient l’exception au lieu d’être la règle : les belligérans sont en minorité par rapport à la masse des neutres, et n’ont pas le droit de leur opposer des contraintes oppressives. Si une guerre est déclarée, il faut qu’elle puisse être conduite de telle façon que les neutres ne soient point forcément entraînés dans les accidens de la lutte. Il faut donc qu’ils évitent de s’exposer à la juste colère d’un des combattans et se gardent de tout acte qui aurait un caractère d’hostilité. Si les neutres n’avaient aucun devoir bien défini, toute guerre particulière menacerait de devenir générale.

Les obligations qu’impose la neutralité peuvent se ramener à deux points : d’abord les neutres doivent s’interdire toute participation aux hostilités ; en second lieu, leurs rapports avec les belligérans doivent s’assujettir aux règles d’une parfaite et loyale impartialité. Ces deux maximes renferment toute l’essence du droit international ; mais, dans la pratique, on a toujours senti le besoin d’en régler les applications, soit par des traités qui engagent les nations entre elles, soit par des actes municipaux qui lient les citoyens d’un pays vis-à-vis du souverain. Enfin, on s’est habitué à ranger parmi les autorités qui composent le droit des gens d’abord certains ouvrages spéciaux que le temps ou une haute valeur a consacrés, puis les décisions des cours des prises, envisagées comme des cours internationales, chargées de veiller à certains intérêts généraux et de résoudre les questions litigieuses soulevées par le conflit des neutres et des belligérans. Ces autorités diverses ne sauraient avoir une valeur absolue, générale et invariable. Les traités par exemple ne lient évidemment que ceux qui les ont signés : le traité de Paris de 1854 n’impose aucune obligation aux États-Unis, parce qu’à l’époque où il fut signé le gouvernement fédéral refusa d’y souscrire. Les traités, d’ailleurs, n’ont rien de fixe et de constant : on y trouve