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mais le gouvernement anglais, malgré les bruyantes protestations des amis de la cause du sud, n’hésita pas à saisir l’Alexandra, l’un des nouveaux navires qui se préparaient à prendre la mer, ainsi que deux magnifiques bâtimens blindés qui s’achevaient à Birkenhead, dans les chantiers de M. Laird, sous les noms bizarres et trompeurs de El Toussun et El Monassir. Cet acte de fermeté honore assurément le cabinet anglais ; mais il fut provoqué par les efforts de quelques hommes d’état et de plusieurs publicistes qui, s’inspirant de sentimens élevés, ou se plaçant au-dessus des passions du moment pour envisager les intérêts permanens et lointains de leur pays, rappelèrent au gouvernement les devoirs de la neutralité chaque fois qu’il paraissait prêt à s’en écarter. Parmi eux, on doit citer dans le parlement M. Bright, M. Cobden, dont les noms sont assez connus ; M. Forster, un jeune membre du parti radical, dont on s’accorde de tous côtés à reconnaître le talent et la précoce maturité ; en dehors du parlement, M. John Stuart Mill, dont l’opinion solitaire est déjà une puissance, tant est grand le respect qui s’attache à sa personne ; M. Cairnes, dont nous avons déjà eu l’occasion de signaler dans la Revue un livre remarquable sur l’esclavage américain ; M. Goldwin Smith, un jeune professeur d’Oxford ; M. Tom Hughes, l’auteur populaire de Tom Brown Schooldays, M. Edouard Dicey, qui a parcouru les États-Unis pendant la guerre et raconté son voyage dans un livre aussi agréable qu’instructif intitulé Six mois dans les états fédéraux. Si l’on ajoute à tous ces noms celui d’Historicus, devenu célèbre en peu de temps, ce n’est pas que l’écrivain désigné par ce pseudonyme s’inspire, comme ces hommes politiques et ces publicistes, d’une sympathie chaleureuse pour la cause des États-Unis, pour les intérêts et l’avenir du gouvernement et des institutions démocratiques. Historicus n’a point des sentimens si cosmopolites ; il avoue loyalement que la cause du nord le laisse aussi indifférent que la cause du sud : Anglais, il songe avant tout à l’Angleterre, et c’est ce qui donne peut-être un intérêt tout particulier à ses lettres sur les droits des belligérans et des neutres.[1]

De l’autre côté de l’Atlantique, l’attitude et la conduite de l’Angleterre n’ont pas été l’objet de moins vives discussions. L’incident qui a provoqué les protestations les plus vives et les plus justes du peuple américain a été, l’on devait s’y attendre, la construction et l’armement des corsaires confédérés dans les ports anglais. Un avocat de Boston, M. Charles Loring, a écrit sur ce sujet une série de lettres qui, avec celles d’Historicus, nous paraissent avoir épuisé

  1. Ce n’est pas commettre une indiscrétion que de dire que l’auteur des lettres d’Historicus est M. William Harcourt, un avocat qui fournissait, il y a peu de temps, une éloquente défense au colonel Crawley, dont le procès a eu un si grand retentissement.