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notre curiosité ? Et cependant la connaissance de la langue française est devenue presque obligatoire dans la société portugaise, tout le monde la parle et la parle bien ; notre littérature, nos modes, nos usages, sont devenus l’objet d’une imitation générale ; notre organisation administrative et militaire, soigneusement étudiée, est le point de départ de toute tentative d’amélioration. Par malheur l’élément français chargé de vivifier cette sympathie sur les rives du Tage ne se compose guère que d’industriels fort honorables sans doute, mais qui représentent assez mal la prépondérance intellectuelle de notre nation. Cette tendance, cet engouement, pourrais-je dire, ne date pas d’aujourd’hui ; depuis la fondation de la monarchie portugaise jusqu’à nos jours, on la retrouverait à toutes les époques, en exceptant toutefois les quinze premières années de ce siècle, où l’influence française, se manifestant par la conquête, ne pouvait, on le comprend, exciter l’enthousiasme populaire.

En définitive, la société portugaise telle qu’on peut l’observer à Lisbonne, à Porto, à Coïmbre, a sans doute ses défauts ; elle a ses côtés faibles et ses naïvetés enfantines. Que parfois les personnalités tendent à s’exagérer leur importance, que des usages surannés prévalent trop souvent, c’est incontestable ; mais l’étranger, obligé d’adopter des mœurs qui lui sont inconnues et de se plier à des coutumes nouvelles pour lui, est-il toujours certain de bien comprendre le sens intime de ces mœurs et de ces coutumes ? et peut-il toujours répondre de la justesse de ses observations ? Le Portugais, à tout prendre, est content de lui : est-il donc si coupable ? Lorsqu’un petit peuple, par le temps qui court, a pu comme celui-là, après quarante années de luttes continuelles, sortir de ses combats agrandi moralement, lorsqu’il a su se créer une vie propre au milieu de difficultés inextricables, n’a-t-il pas lieu d’être satisfait ? Ce qu’il y aurait de fâcheux pour lui, c’est que, considérant sa faiblesse relative, il se laissât aller à un découragement qui vînt refroidir sa généreuse ardeur. Pour échapper à ce découragement, il lui suffit de se mieux connaître lui-même. Le Portugal n’est pas seulement le « pays aux oranges, » comme on le lui reprochait autrefois ; les idées aussi naissent et fleurissent sous ce ciel bienfaisant : c’est aux Portugais de montrer qu’elles peuvent y mûrir.


V. DE MAZADE.