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rien ne le menace au dehors, nourrirait une armée nombreuse, qu’il ne peut même pas consacrer à la défense de ses colonies, car les fueros militaires s’opposent à ce que ces soldats si péniblement réunis servent sur les côtes d’Afrique ou dans l’Inde.

Dans toutes les administrations, des embarras de même nature se présentaient : partout le désordre traditionnel du passé et les habitudes surannées luttant contre les aspirations nouvelles. Pour opérer son travail de réforme, le gouvernement avait à sa disposition un pouvoir administratif inquiet et besoigneux dont il fallut relever le moral en le rassurant contre les rancunes particulières et en le payant régulièrement. C’est à M. Fontes Pereira de Mello et à ses amis que revient en grande partie l’honneur d’une régularité inconnue jusqu’à eux. L’administration, fort incomplète au reste, jouit d’une autorité encore très contestée. « Cela ne regarde pas M. le gouverneur, entend-on dire souvent ; s’il ne se tient tranquille, nous le renverrons à Lisbonne : nous le tolérons, c’est assez. » Lisbonne reprend en effet souvent ses gouverneurs. Il faut le dire, la situation d’un gouverneur est singulière : lancé dans un district, presque sans appui, sans police, il ne doit compter que sur sa force morale ; l’emploi de la force matérielle deviendrait le signal certain de sa chute. Une famille allemande était venue établir une exploitation de pyrites cuivreuses dans la province de Beira. Ces travaux firent naturellement hausser le prix des journées. Quelques propriétaires, au nombre desquels se trouvèrent des prêtres, résolurent de se délivrer de ces concurrens incommodes. Le bruit se répandit d’abord que la fumée des fours détruisait la végétation ; pour toute réponse, les industriels montrèrent leurs plantations qui, autour de l’établissement métallurgique, n’en offraient pas moins l’aspect de la plus grande prospérité ; ces étrangers devinrent alors pour les intéressés des impies, des hérétiques ne respectant ni madones, ni croyances populaires. Leur expulsion fut résolue à l’occasion d’une fête de la Vierge. Le peuple soulevé arrive en armes, brise, brûle et détruit. Le gouverneur survient aussitôt à son tour, escorté de quelques soldats qui dispersent la foule après avoir tiré des coups de feu inoffensifs. L’ordre fut immédiatement rétabli par cet acte de vigueur ; mais à quelque temps de là le trop zélé administrateur dut transporter son énergie dans un autre district ; sa position était devenue intolérable.

S’il s’agit d’élections, les passions s’allument, On s’excite, on s’injurie ; les agens inférieurs trahissent les secrets administratifs. Malgré tout, le gouverneur, pauvre bouc émissaire, doit réussir, s’il ne veut se rendre impossible ; il doit deviner les goûts de ses administrés, la moindre erreur trouve tout le monde impitoyable.