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l’ombre respecté de tous. Il s’agissait de réorganiser les forces de la nation, et, puisque l’ère des luttes était close, d’inaugurer une ère de travail que l’on n’avait guère connue jusque-là. Pedro V prit son rôle au sérieux ; il se croyait personnellement responsable du bonheur de ses sujets, et le sentiment de cette responsabilité donna de bonne heure à sa physionomie une expression triste et grave. Dès le premier jour de son règne, il se mettait à l’œuvre, examinant toutes les affaires, s’arrêtant de préférence à celles qui intéressaient l’avenir de la jeune génération. Dans le silence du cabinet, il s’appliquait à étudier le pacte fondamental pour faire tout le bien qui dépendait de son pouvoir, sans dépasser ses droits constitutionnels, étonné plutôt qu’irrité parfois de trouver quelque défiance là où l’adhésion la plus chaleureuse devait se montrer. Le jeune souverain n’était préoccupé que des devoirs de sa position ; c’est à ce sentiment sans doute qu’il faut attribuer chez un roi pacifique le penchant secret qu’il avait pour la vie militaire ; on eût dit que la vie d’abnégation du soldat le tentait. Esprit irrésolu, hésitant, il aimait néanmoins à se mettre en face des problèmes les plus hardis de l’avenir, raillant parfois, dit-on, la timidité de ses ministres et prenant avec eux comme citoyen les libertés que l’on refusait au souverain. Jamais il ne se reconnut le droit de disposer de la vie d’un homme, cet homme fût-il coupable aux yeux de la loi. Aucune exécution capitale n’eut lieu sous son règne.

Dom Pedro avait déjà vu tomber autour de lui sa mère et une épouse qu’il aimait. Un jour, après une tournée pénible qu’il venait de faire dans l’Alem-Tejo (ses excursions dans les provinces n’étaient pas de simples voyages d’agrément), il se sentit frappé, et le prince, que la fièvre jaune avait respecté lorsqu’en 1855 il parcourait les hôpitaux entouré de tous les siens, mourut d’une maladie contractée dans l’accomplissement de son devoir. Le peuple, égaré par de sourdes rumeurs, ne voulait pas croire à une mort naturelle à personne ne songea dans ce premier moment à la terrible influence des fièvres de l’Alem-Tejo. Le frère de dom Pedro, dom Luiz Ier, apparut à ce peuple attristé comme une consolation. Son rôle était facile, il n’avait qu’à se laisser aller au flot de la popularité. Tout devait lui réussir. Son caractère expansif formait un contraste frappant avec la mélancolique figure de son prédécesseur. Destiné dès son enfance à la vie du marin, il devait à son éducation cette franchise d’allures qui séduit la foule. On lui demandait de se marier au plus vite pour assurer l’avenir de la monarchie, et pendant que les politiques s’en allaient lui cherchant une compagne, il fixait lui-même son choix sur la petite-fille de Charles-Albert, associant ainsi les destinées de la maison de Bragance à celles de la maison de Savoie,