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livré à la reconnaissance de toutes les rues qui vont s’étageant sur les sept collines, car la capitale portugaise, en cité qui se respecte, est construite sur sept collines tout comme la vieille Rome. Devant moi s’élevaient par des pentes raides les rues qui forment la ville haute ; je préférai descendre vers le fleuve, parcourant les gradins de cet amphithéâtre. Le mot de gradins est ici d’ailleurs fort bien appliqué et donne une idée assez exacte d’une disposition générale où les escaliers abondent. À chaque pas, une église, un hôtel, un palais, venaient me rappeler que Lisbonne est la capitale d’un peuple qui à une autre époque posséda les plus riches comptoirs de l’Inde et de l’Amérique. La ville, construite à l’aide d’une sorte de marbre grossier, conserve une apparence de nouveauté extraordinaire ; à peine si le temps accuse un peu la teinte rose ou orangée de cette pierre, qui ne tarde pas à prendre des reflets miroitans. Descendant ainsi au hasard, je me trouvai tout à coup dans le damier de la ville neuve.

Sur les bords du Tage, entre deux collines, le marquis de Pombal, après le tremblement de terre de 1755, « enterrant les morts et pensant aux vivans, » construisit une cité nouvelle. Établissant d’abord à l’endroit le plus favorable le Terreiro de Paço (esplanade du palais), il disposa autour de cette place les édifices destinés aux administrations publiques, et au milieu de ce rectangle il éleva la statue du roi Joseph Ier, son maître. Ce centre établi, de larges rues, bien droites, bien nivelées, divisèrent le terrain en quartiers formant un damier à peu près exclusivement occupé par le commerce. L’uniformité massive des constructions de cette partie de la ville ne manque pas de grandeur. On respire d’ailleurs un air si pur dans ces vastes artères lorsque souffle la brise, que l’on pardonne volontiers sa fantaisie théâtrale au grand marquis, comme on l’appelle. De temps en temps, pour me guider, j’interrogeais un passant qui, sans me comprendre, me donnait des indications que je ne comprenais pas davantage, et j’avançais toujours. C’est ainsi que j’arrivai au Rocio, grande et belle place rectangulaire à l’extrémité de laquelle on aperçoit le théâtre de dona Maria, dont la colonnade ionique est de l’effet le plus gracieux. Enfin, remontant vers le centre, je reconnus le Chiado avec ses boutiques somptueuses et sa population de désœuvrés aristocratiques. Une seconde excursion aussi aventureuse que la première me conduisit un autre jour dans la ville haute, à Buenos-Ayres, au paseio da Estrella, au palais das Necessidades, où résidait la famille royale. Sans cesse montant ou descendant, je m’arrêtai enfin devant une sorte de parterre étage dont la végétation tropicale paraît étonnée de se trouver ainsi suspendue au-dessus du toit des maisons, qu’on aperçoit en bas, tandis