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la nature entière semble grelotter de la fièvre ; les rares et misérables villages qu’on rencontre sont habités par une population étiolée, amaigrie, au teint jaune, aux grands yeux noirs et fixes, que décime la terrible terciana (fièvre tierce). J’avais eu le bonheur d’échapper à une si pénible impression pendant ma première course à travers l’Alem-Tejo, et je n’en avais gardé qu’un agréable souvenir en arrivant à la station de Vendas-Novas, que 55 kilomètres de parcours en chemin de fer séparent seulement du Barreiro, sur la rive gauche du Tage. Là, je ne pus me défendre d’une vive émotion à la vue du panorama grandiose qui se déroula tout à coup.

Devant moi, aux bords d’une rade immense sur la rive droite du Tage, Lisbonne s’étalait en amphithéâtre. Les collines, étagées en gradins, semblaient recouvertes de palais, dont les colonnes élégantes, sortant de massifs de verdure et de fleurs, se reflétaient dans les eaux. Pas un nuage ne ternissait le bleu du ciel. Les pieds de la ville venaient se baigner dans des vagues tranquilles qui, scintillant aux rayons du soleil, paraissaient lancer des flammes ; sur le vert de la mer se détachaient les teintes rosées d’une multitude de voiles triangulaires qui glissaient légèrement sur l’onde. Un bateau à vapeur vient attendre les passagers qu’amène le convoi pour leur faire traverser la rade ; je m’élançai sur le pont pour mieux jouir de ce spectacle. Tandis que le bateau fendait les eaux du fleuve, mon regard avait peine à embrasser cette multitude de perspectives de la blanche ville. Ici, vers la gauche, c’était le palais de Belem, qui se laissait entrevoir ; là, dans une échappée, entre deux collines, se montrait l’aqueduc d’Agoas-Livres ; sur un roc escarpé apparaissait la vieille citadelle de San-Jorge ; à mesure que j’approchais, les lignes se dérobaient ou se précisaient suivant les accidens du terrain. Bientôt apparurent les arcades gracieuses de la Praça de Comercio et son débarcadère majestueux ; j’aperçus Joseph Ier qui, du haut de son cheval, regardant le port, semble faire à l’étranger les honneurs de la capitale nouvelle que construisit son grand ministre, Sébastiaõ de Carvalho, marquis de Pombal, après que le tremblement de 1755 eut bouleversé Lisbonne. Ce Terreiro de Paço ou Largo de Comercio, comme on voudra l’appeler, avec ses monumens alignés, ses arcs de triomphe, sa statue équestre, produit un effet d’une grandeur incomparable. Les Portugais sont fiers à bon droit de cette place, qui serait le plus bel ornement de la capitale la plus splendide. En présence des quais silencieux, à la vue des eaux désertes, on se prend à évoquer le souvenir du passé, on regrette le temps où l’on arrivait au rivage après avoir parcouru les rues d’une véritable cité de navires, après avoir reconnu les pavillons des nations les plus lointaines, le temps ou sur le port se