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où quatre voyageurs avaient peine à tenir, nous arrivâmes à Badajoz par des chemins effondrés et poudreux, après vingt-quatre heures d’un véritable supplice. Dieu veuille que bientôt le chemin de fer délivre le voyageur de pareilles vicissitudes ! Cet accès du Portugal était peu séduisant, comme on le voit, et tout ce que j’avais entendu dire en Espagne me faisait redouter singulièrement d’avoir à passer encore vingt-quatre heures dans une diligence portugaise.

Badajoz, malgré son importance, n’est pas une de ces villes où l’on puisse s’oublier. Des rues étroites, tortueuses, mal pavées, bordées de maisons aux fenêtres grillées, — la Guadiana au lit desséché et pestilentiel, des soldats, des casernes, tels sont les agrémens de la capitale de l’Estramadure espagnole. Rien ne pouvait nous retenir à l’hôtellerie du señor Panseco (Pain-Sec), au nom tristement significatif. Grâce à un compagnon de route obligeant qui se rendait lui-même à Lisbonne, les préparatifs du départ furent bientôt faits, et le 4 août nous traversâmes au galop des mules les rues de Badajoz, prenant la coûte de Portugal. Lorsque, après avoir dépassé la poterne et les fortifications de la ville, nous commençâmes à rouler dans la plaine, je ne fus pas peu surpris de me trouver installé dans un coupé fort propre et de ne plus sentir ma tête ballottée se heurter aux parois de ma prison ; le zagal silencieux paraissait avoir oublié son répertoire de malédictions et de blasphèmes, qui en Espagne blessent parfois les oreilles les moins prudes. Déjà j’avais été frappé de la courtoisie du personnage galonné qui était venu nous aider à monter en voiture. Décidément cette impression première était bonne ; mon compagnon, à qui je fis part de mes observations, m’expliqua comment j’avais pu être trompé par mes renseignemens, l’Espagnol étant le peuple qui tient le moins à connaître le Portugal, et qui par le fait le connaît le moins.

Au milieu de la plaine qui de Badajoz s’étend jusqu’au pied d’Elvas, un ruisseau desséché et une borne séparent seuls les territoires des deux pays ; pas un douanier, pas un gendarme ne se présenta pour nous recevoir : au reste, l’institution de la gendarmerie est tout à fait inconnue en Portugal. Elvas nous apparut alors dans le lointain, s’élevant sur une colline à notre droite, entourée de ses bastions et de son aqueduc monumental ; à gauche, sur un mamelon, la citadelle et le fort de Santa-Luzia dessinaient leurs redoutes au-dessus d’une ceinture d’oliviers. La disposition de ces constructions en face de Badajoz est telle qu’elles paraissent fermer les portes du royaume, laissant à peine apercevoir au-dessus des murailles une ligne de blanches maisons auxquelles se mêlent la flèche d’une église et un bouquet de palmiers. En général, de quelque nature que soient les frontières d’un pays, fleuves ou montagnes,