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quatre grands systèmes, le sensualisme, l’idéalisme, le scepticisme et le mysticisme, seuls acteurs dans l’arène intellectuelle où, de tout temps et chez tous les peuples, ils se combattent et dominent tour à tour. Et après avoir nettement caractérisé, dans leur origine et leur développement, ces quatre systèmes, M. Cousin ajoute : « Quant à leur mérite intrinsèque, accoutumez-vous à ce principe : ils ont été ; donc ils ont eu leur raison d’être, donc ils sont vrais, au moins en partie. L’erreur est la loi de notre nature, nous y sommes condamnés, et dans toutes nos opinions, dans toutes nos paroles, il y a toujours à faire une large part à l’erreur, et trop souvent à l’absurde ; mais l’absurdité complète n’entre pas dans l’esprit de l’homme : c’est la vertu de la pensée de n’admettre rien que sous la condition d’un peu de vérité, et l’erreur absolue est impossible. Les quatre systèmes qui viennent de passer sous vos yeux ont été ; donc ils ont du vrai, mais sans être, entièrement vrais. Moitié vrais, moitié faux, ces systèmes reparaissent à toutes les grandes époques. Le temps n’en peut détruire un seul ni en enfanter un de plus, parce que le temps développe et perfectionne l’esprit humain, mais sans changer sa nature et ses tendances fondamentales. Il ne fait autre chose que multiplier et varier presque à l’infini les combinaisons des quatre systèmes simples et élémentaires. De là ces innombrables systèmes que l’histoire recueille et que sa tâche est d’expliquer[1]. »

M. Cousin excelle à expliquer les innombrables combinaisons philosophiques, et à les ramener toutes aux quatre grands systèmes qu’il a définis ; mais il y a un fait plus considérable encore que la variété de ces combinaisons, et qui a besoin aussi d’être expliqué. Pourquoi les quatre systèmes essentiels, le sensualisme, l’idéalisme, le scepticisme et le mysticisme, ont-ils apparu dès les temps les plus anciens, et se sont-ils reproduits toujours et partout, plus ou moins fortement déduits, plus ou moins habilement présentés, mais au fond toujours et partout les mêmes ? Pourquoi l’esprit humain a-t-il, sur ces questions suprêmes, atteint de si bonne heure à des essais de solution qui l’ont en quelque sorte épuisé sans le satisfaire ? Pourquoi les divers systèmes qu’il a si promptement inventés n’ont-ils pu parvenir soit à s’accorder, soit à se vaincre l’un l’autre, et à se faire accepter, l’un ou l’autre, comme la vérité ? Pourquoi la philosophie ou, pour parler plus précisément, la métaphysique est-elle restée au fond stationnaire, grande en naissant, mais comme destinée à ne point grandir, tandis que les autres sciences, les sciences qu’on appelle naturelles, ont été essentiellement progressives,

  1. Histoire générale de la philosophie depuis les temps les plus anciens jusqu’à la fin du dix-huitième siècle, par M. Victor Cousin, p. 4-31 (1863).