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aux événemens d’où cette émotion dérive. » Ainsi, à en croire Hume, c’est uniquement pour son plaisir, c’est pour l’amusement de son imagination que l’homme croit au surnaturel, et sous cette impression réelle, mais secondaire, qui effleure la surface de l’âme humaine, le philosophe n’entrevoit pas les instincts profonds et les besoins supérieurs qui la dominent.

Pourquoi cette attaque indirecte et incomplète ? Pourquoi se borner à soutenir que les miracles ne sauraient être historiquement prouvés, au lieu d’affirmer nettement qu’il ne saurait y avoir des miracles ? C’est là ce que pensent au fond les adversaires du surnaturel ; c’est parce que d’avance ils tiennent les miracles pour impossibles qu’ils s’appliquent à détruire la valeur des témoignages qui les attestent. Si les témoignages qui entourent le berceau de la religion chrétienne, que dis-je ? si le quart, si la dixième partie de ces témoignages portait sur des faits extraordinaires, inattendus, inouïs, mais sans caractère surnaturel, on tiendrait l’attestation pour très valable et les faits pour certains. En apparence, c’est seulement la preuve testimoniale du surnaturel que l’on conteste ; en réalité, c’est la possibilité même du surnaturel que l’on nie. Il faut le dire et poser la question telle qu’elle est, au lieu de la résoudre en l’éludant.

Naguère des esprits conséquens et hardis n’ont pas hésité à la poser nettement ainsi : « Le dogme nouveau, ont-ils dit, le principe fondamental de la critique, c’est la négation du surnaturel… Ceux qui refuseraient encore d’admettre ce principe n’ont rien à faire de nos livres, et nous, de notre côté, nous n’avons pas à nous inquiéter de leur opposition et de leur censure, car nous n’écrivons pas pour eux. Et si l’on n’entre pas dans cette discussion, c’est par l’impossibilité d’y entrer sans accepter une proposition inacceptable, c’est que le surnaturel soit seulement possible[1]. »

Je ne reproche point aux incrédules de l’école de Hume d’avoir été plus timides ; ce n’est point avec intention et par artifice qu’ils ont attaqué le surnaturel par une voie détournée, non comme impossible en soi, mais comme impossible à prouver par le témoignage humain. Je leur rends plus de justice et je leur fais plus d’honneur. Un sage et honnête instinct les a retenus sur la pente où ils s’étaient placés ; ils ont pressenti que nier la possibilité même du surnaturel, c’était entrer à pleines voiles dans le panthéisme et le fatalisme, c’est-à-dire abolir Dieu et la liberté de l’homme. Leur sens moral et leur bon sens le leur ont interdit. L’erreur fondamentale

  1. Conservation, Révolution et Positivisme, par M. Littré, Préface, p. XXXI et suiv. — M. Havet, dans la Revue des Deux Mondes du 1er août 1863.