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et sur lequel repose la conduite de la vie humaine. En présence de l’ordre permanent de la nature et de ses lois, nous n’y pouvons admettre des infractions partielles et momentanées ; nous ne pouvons-croire au surnaturel, au miracle.

Il est vrai, des lois générales et permanentes gouvernent la nature. Est-ce à dire que ces lois sont nécessaires et qu’aucune dérogation n’y est possible ? Il n’y a personne qui ne reconnaisse entre ce qui est général et ce qui est nécessaire une différence essentielle et absolue. La permanence des lois actuelles de la nature est un fait établi par l’expérience, mais non pas seul possible et seul concevable pour la raison ; ces lois auraient pu être autres, elles pourraient changer. Il en est plusieurs qui n’ont pas toujours été ce qu’elles sont, car la science elle-même établit que l’état de la nature a été autre qu’il n’est maintenant ; l’ordre universel et permanent auquel nous assistons et nous nous confions n’a pas toujours été tel que nous le voyons, il a commencé ; la création de l’ordre actuel de la nature et de ses lois est un fait aussi certain que cet ordre même. Et qu’est-ce que la création sinon un fait surnaturel, l’acte d’une puissance supérieure aux lois actuelles de la nature, et qui peut les modifier comme elle a pu les établir ? Le premier des miracles, c’est Dieu.

Il y en a un second, c’est l’homme. Je reprends ce que j’ai déjà dit : en tant qu’être moral et libre, l’homme vit en dehors et au-dessus des lois générales et permanentes de la nature ; il crée par sa volonté des faits qui ne sont point la conséquence nécessaire d’une loi préexistante, et ces faits prennent place dans un ordre absolument distinct et indépendant de l’ordre visible qui régit l’univers. La liberté morale de l’homme est un fait aussi certain, aussi naturel que l’ordre de la nature, et elle est en même temps un fait surnaturel, c’est-à-dire essentiellement en dehors de l’ordre de la nature et de ses lois.

Dieu est l’être moral et libre par excellence, c’est-à-dire l’être excellemment capable d’agir comme cause première, en dehors des causes qui s’enchaînent l’une à l’autre. En tant qu’être moral et libre, l’homme est en rapport intime avec Dieu. Qui définira les événemens possibles et sondera les mystères de ce rapport ? Qui dira que Dieu ne peut pas modifier et ne modifie jamais, selon ses desseins dans l’ordre moral et sur l’homme, les lois qu’il a instituées et qu’il maintient dans l’ordre matériel de la nature ?

On a hésité à nier absolument la possibilité des faits surnaturels ; on a pris pour les attaquer une voie détournée. S’ils ne sont pas impossibles, a-t-on dit, ils sont incroyables, car aucun témoignage humain et spécial en faveur d’un miracle ne peut donner une certitude