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hommes en masse tirent les conséquences de l’erreur bien plus rigoureusement que ne fait celui dans l’esprit duquel l’erreur est née. Les peuples ne sont ni des savans ni des philosophes, et si vous parveniez à détruire en eux toute foi au surnaturel, tenez pour certain que la foi chrétienne aurait disparu.

Y a-t-on bien pensé ? Se figure-t-on ce que deviendraient l’homme, les hommes, l’âme humaine et les sociétés humaines, si la religion positive y était effectivement abolie, si la foi religieuse en disparaissait réellement ? Je ne veux pas me répandre en complaintes morales et en pressentimens sinistres ; mais je n’hésite pas à affirmer qu’il n’y a point d’imagination qui puisse se représenter avec une vérité suffisante ce qui arriverait en nous et autour de nous, si la place qu’y tiennent les croyances chrétiennes se trouvait tout à coup vide et leur empire anéanti. Personne ne saurait dire à quel degré d’abaissement et de dérèglement tomberait l’humanité. C’est pourtant là ce qui serait, si toute foi au surnaturel s’éteignait dans les âmes, si les hommes n’avaient plus dans l’ordre surnaturel ni confiance ni espérance.

Je n’ai point dessein de me renfermer ici dans la question morale et pratique, et j’aborde celle du surnaturel considéré au point de vue de la raison spéculative et libre.

On le condamne en vertu de son nom seul. Rien, dit-on, n’est ou ne peut être en dehors et au-dessus de la nature. Elle est une et complète ; tout y est renfermé, et toutes choses s’y tiennent, s’y enchaînent et s’y développent nécessairement.

Nous voici en plein panthéisme, c’est-à-dire en plein athéisme. Je donne sur-le-champ au panthéisme son vrai nom. Parmi les hommes qui se déclarent aujourd’hui les adversaires du surnaturel, la plupart, à coup sûr, ne croient pas et ne veulent pas être athées. Je les avertis qu’ils mènent les autres là où eux-mêmes ne croient pas et ne veulent pas aller. La négation du surnaturel, au nom de l’unité et de l’universalité de la nature, c’est le panthéisme, et le panthéisme, c’est l’athéisme. Dans le cours de ces méditations, quand je parlerai spécialement de l’état actuel de la religion chrétienne et des divers systèmes qui la combattent, je justifierai à cet égard mon assertion ; pour le moment, j’ai à repousser des coups plus directs contre le surnaturel, coups moins profonds que ceux du panthéisme, mais aussi graves, car, à vrai dire, qu’on le sache ou non, qu’on le veuille ou non, tous les coups, dans ce combat, vont à la même fin, et dès qu’ils s’adressent au surnaturel, c’est la religion qui les reçoit.

On invoque la fixité des lois de la nature ; c’est là, dit-on, le fait palpable et incontestable qu’établit l’expérience du genre humain,