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que l’on sent en face des légendes des saints : ce ne peut être là la religion, ce n’en est que la superfétation. — Il est vrai, s’écrie avec douleur le chrétien chancelant, nous ne croyons plus au miracle ; vous auriez pu ajouter que nous ne croyons guère à Dieu non plus, et les deux choses se tiennent. On parle beaucoup aujourd’hui de spiritualisme chrétien, de religion de la conscience, et vous-même, vous semblez voir dans l’abandon des miracles un progrès de la religion. Ah ! que ne puis-je dire avec assez de force combien l’expérience intime de mon cœur proteste contre une pareille opinion ! Quand je sens vaciller en moi la foi au miracle, je vois aussi l’image de mon Dieu s’affaiblir à mes regards ; il cesse peu à peu d’être pour moi le Dieu libre, vivant, le Dieu personnel, le Dieu avec lequel l’âme converse comme avec un maître et un ami. Et ce saint dialogue interrompu, que nous reste-t-il ? Combien la vie paraît triste alors et désenchantée ! Réduits à manger, dormir et gagner de l’argent, privés de tout horizon, combien notre âge mûr paraît puéril, combien notre vieillesse triste, combien nos agitations insensées ! Plus de mystère, c’est-à-dire plus d’innocence, plus d’infini, plus de ciel au-dessus de nos têtes, plus de poésie. Ah ! soyez-en sûr, l’incrédulité qui rejette le miracle tend à dépeupler le ciel et à désenchanter la terre. Le surnaturel est la sphère naturelle de l’âme. C’est l’essence de sa foi, de son espérance, de son amour. Je sais bien que la critique est spécieuse, que ses argumens paraissent souvent victorieux ; mais je sais une chose encore, et peut-être pourrais-je en appeler ici à votre propre témoignage : en cessant de croire au miracle, l’âme se trouve avoir perdu le secret de la vie divine ; elle est désormais sollicitée par l’abîme ;… bientôt elle gît à terre, oui, et parfois dans la boue. »

À son tour, l’incrédule au surnaturel se trouble et s’attriste. — « Tenez, dit-il, l’histoire de l’humanité me paraît quelquefois se mouvoir entre les termes suivans. Le monde commence par la religion, et, rapportant directement les phénomènes à une cause première, il voit partout un Dieu. Vient la philosophie, qui, ayant découvert l’enchaînement des causes secondes et les lois de leur action, réduit d’autant l’intervention directe de la Divinité, et qui, s’appuyant sur l’idée de la nécessité (car la nécessité seule tombe dans le domaine de la science, et la science n’est que la connaissance du nécessaire), tend, par ses données fondamentales, à exclure Dieu du monde. Elle fait plus, elle arrive à nier la liberté humaine comme elle a nié Dieu. On comprend pourquoi : la liberté est une cause en dehors de l’enchaînement des causes, une cause première, une cause qui est cause de soi, et dès lors la philosophie, ne pouvant l’expliquer, se trouve portée à la nier. Une philosophie