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lois qui s’enchaînent naturellement, nécessairement, et sur lesquels s’exerce la science humaine, incomplète, mais indéfiniment progressive dans sa puissance comme dans son travail.

Ainsi la création, la providence divine et la liberté humaine, l’origine du mal, le mélange et la lutte du bien et du mal dans le monde et dans l’homme, l’imperfection de l’ordre actuel et du sort de l’homme, la perspective du rétablissement de l’ordre dans l’avenir, ce sont là de pures rêveries, des jeux de la pensée humaine ; il n’y a, dans la réalité, point de questions semblables ; de même qu’il est éternel, le monde, tel qu’il est, est complet, normal et définitif en même temps que progressif, et ce n’est d’aucune puissance supérieure au monde, c’est du seul progrès des sciences et des lumières de l’homme qu’il faut attendre le remède au mal moral et matériel dont souffre le genre humain.

Je ne discute pas en ce moment ce système, je ne le qualifie même pas par son vrai nom, je ne fais que le résumer ; mais au premier et simple aspect quel mépris des instincts spontanés et universels de l’homme ! Quel oubli des faits qui remplissent l’histoire universelle et permanente du genre humain !

C’est pourtant là que nous en sommes. Non pas une solution, mais la négation des problèmes naturels dont l’âme humaine est invinciblement travaillée, c’est là ce qu’on lui offre pour toute satisfaction et tout repos ! Soyez mathématicien, physicien, mécanicien, chimiste, critique, romancier, poète ; mais n’entrez pas dans ce qu’on appelle la sphère religieuse et théologique : il n’y a là point de questions réelles à résoudre, rien à chercher, rien à faire, rien à attendre, rien, rien…

(Après avoir ainsi rappelé les problèmes naturels qui pèsent sur l’âme humaine, M. Guizot expose, dans une seconde méditation, les solutions que donnent de ces problèmes les principaux dogmes chrétiens, et dans la méditation suivante, intitulée : le Surnaturel, il soutient, en ces termes, le principe fondamental de ces dogmes.)


II. — LE SURNATUREL.

Contre le système chrétien, si grand et en si profonde harmonie avec la nature humaine, on élève une objection qu’on croit décisive : il proclame le surnaturel ; il a le surnaturel pour principe et pour base. Or, dit-on, il n’y a point de surnaturel.

L’objection n’est pas nouvelle ; mais elle est aujourd’hui plus sérieuse et plus forte en apparence qu’elle ne l’a encore été. C’est au nom de la science, de toutes les sciences humaines, des sciences physiques, des sciences historiques, des sciences philosophiques,