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toutes les associations et toutes les œuvres qui ont manifesté la vie et étendu l’action de l’église protestante ; ils ont réclamé et ils réclament incessamment pour cette église le rétablissement de ses synodes, c’est-à-dire son autonomie religieuse. Parmi ces protestans, quand il s’en est rencontré qui n’ont pas trouvé dans l’église protestante soutenue par l’état la pleine satisfaction de leurs convictions, ils n’ont pas hésité à s’en séparer et à fonder, avec leurs seules forces, des églises libres. Et ce sont les protestans qui ont ainsi mis le plus largement en pratique tous les droits, toutes les libertés du protestantisme, ce sont précisément ceux-là qui aujourd’hui, dans l’épreuve intérieure que traverse le christianisme, professent le plus hautement les dogmes de la foi chrétienne, et maintiennent le plus fermement les droits de l’autorité légale au sein de leur église. Les catholiques libéraux de nos jours sont les plus zélés défenseurs des traditions et des institutions fondamentales du catholicisme. Les protestans les plus actifs, depuis un demi-siècle, dans l’exercice des libertés du protestantisme sont les plus fermes conservateurs de ses doctrines et de ses règles vitales.

Humainement parlant, c’est de l’influence qu’exercent et qu’exerceront dans leurs églises respectives et dans le public ces deux classes de chrétiens que dépend l’issue paisible de la crise que subit de nos jours le christianisme. Notre société est certes bien loin d’être chrétienne, mais elle n’est pas non plus anti-chrétienne ; considérée dans son vaste ensemble, elle n’a aujourd’hui, contre la religion chrétienne, point de passion hostile ni générale ; elle conserve des habitudes, des instincts, je dirai volontiers des désirs chrétiens ; elle sait que la foi et la loi chrétiennes servent puissamment ses intérêts d’ordre et de paix ; les adversaires fanatiques du christianisme l’inquiètent bien plus qu’ils ne la séduisent ; elle a fait l’expérience de leur empire, et même quand elle ne s’en défend pas, même quand elle les vante, elle redoute au fond leurs progrès. Dans de telles dispositions, notre société peut être tirée de son indifférence et de son ignorance religieuse ; elle peut être ramenée au christianisme, mais par ceux-là seulement qui, en défendant, en propageant le christianisme, ne blesseront pas la société elle-même dans les idées, les sentimens, les droits, les intérêts qui aujourd’hui ont pris place et racine dans sa vie intime et active. Comme la religion, la société moderne a aussi ses points fixes et ses tendances invincibles ; entre la religion et elle, l’harmonie ne peut se rétablir que par l’action des hommes qui leur portent, à l’une et à l’autre, une vraie et profonde sympathie. Puisque la religion chrétienne vit aujourd’hui en présence de la liberté, ceux-là seuls sont d’efficaces défenseurs de la religion qui en même temps professent