Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des marbres. L’écrivain latin, dans la partie géographique de son Histoire naturelle, la désigne ainsi : primum Etruriœ oppidum Luna, portu nobile. Strabon la cite également sous le nom grec de Σελήνη. Luna a donc été pour les Romains le port d’entrepôt des marbres extraits des montagnes voisines. Ce port était à l’embouchure du fleuve Magra. Avec le temps, l’embouchure s’est ensablée, la mer elle-même s’est retirée, ou, si l’on veut, le sol s’est peu à peu soulevé sur ces rivages, et aujourd’hui la côte est à un kilomètre plus loin. Peut-être ces phénomènes physiques expliquent-ils en partie l’état d’abandon où se trouve de nouveau Luna. Il y a là plusieurs couches de ruines superposées ; la terre végétale a recouvert les débris du passé, et le laboureur modenais, comme celui de Virgile, voit souvent des casques, des fers de lance, des ossemens, se dégager sous le soc de la charrue. On a trouvé aussi beaucoup de monnaies, des vases, des poteries de tout genre, des mosaïques, des pierres gravées, des statues, des ornemens et ustensiles divers. Dans tout cela, rien de bien saillant : Luna n’était qu’une ville de marbriers et de marins ; le travail du marbre, comme aujourd’hui à Carrare, y occupait seul les habitans, et j’ai vu, en parcourant ces ruines, cinq ou six larges dalles de beau marbre blanc empilées derrière une haie, et retirées il y a quelque temps de dessous terre par un contadino du voisinage.

Une grosse tour massive, en pierres de petit appareil, reliées par du ciment, construction évidemment romaine et qu’on suppose avoir été un phare, des restes de salles voûtées qui ont pu être des magasins publics ou des prisons, à côté une des portes de la ville, puis un amphithéâtre elliptique, dont une partie de la galerie couverte, celle où s’ouvraient les vomitoires, est encore debout, enfin des pans d’épaisses murailles se profilant çà et là au milieu des terres, tels sont les seuls restes de la Luna romaine. L’agriculture a tout envahi, tout détruit sur ce sol fertile, et l’arène même de l’amphithéâtre, du Colisée, comme on l’appelle dans le pays, a été transformée en un champ de blé. De la Luna des Étrusques il ne reste plus rien, et de la Luna chrétienne on aperçoit seulement les ruines d’une église à fleur de sol. Les murs devaient être intérieurement revêtus de bas-reliefs en marbre, s’il faut en juger par les débris que l’on découvre çà et là. C’est entre les XIe et XIIe siècles, à la suite des nombreuses dévastations des Barbares, qui ont si longtemps prolongé leurs incursions sur cette partie du territoire italien, que Luna aura dû entièrement disparaître. Les Goths, les Lombards, les Sarrasins, les Normands, les Allemands eux-mêmes, la pillèrent tour à tour. Au Ve siècle, elle était encore très florissante. Rutilius Numatianus, qui nous a laissé une si élégante description du voyage qu’il entreprit vers l’an 471, allant de Rome dans