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à sa barbe et à ses cheveux olympiens, tient le milieu ; il appuie paternellement ses bras sur les épaules de ses compagnons. À gauche est Bacchus, que l’on devine au thyrse qu’il tient dans sa main[1] ; à droite est Hercule portant la massue, couvert de la dépouille du lion. Tous les carriers, tous les artistes de passage à Carrare, sont allés visiter ce bas-relief. Bien des sculpteurs ont inscrit leurs noms sur la pierre ; ceux de Pietro Tacca, Gian Bologna, Canova, semblent être d’hier. À l’élégance, à la profondeur des entailles, on voit que ces noms ont été gravés par des mains habituées à tenir le ciseau. Il paraît que le nom de Buonarotti se lisait également sur ce marbre, et qu’il a disparu, soit dans un éclat qui a tronqué l’un des angles, soit emporté par quelque fanatique.

Dans une autre carrière romaine près de Carrare, à Colonnata[2], l’attention des visiteurs était également attirée par les restes d’un autel votif, dont l’inscription témoigne qu’il a été dressé par Villicus, décurion des esclaves attachés aux carrières. Cet autel a depuis un an été transporté aussi à l’académie de Carrare ; il certifie le renom dont jouissait le marbre de Carrare chez les Romains. Avant eux, les Étrusques ont excavé les montagnes de Carrare, et la ville de Luna, qu’ils avaient construite sur ces rivages, vivait surtout du commerce des marbres. Ce ne fut qu’à partir du temps de César et d’Auguste, quand les carrières de la Grèce commencèrent à s’épuiser, quand le Pentélique et Paros refusèrent aux maîtres, du monde ce qu’ils avaient si abondamment donné à Ictinus, à Phidias et à leurs élèves, que les Romains s’adressèrent à Carrare[3]. Les marbres blancs cristallins de Luna reprirent leur premier renom, et pendant plusieurs siècles, jusqu’à la chute de l’empire, fournirent à tous les artistes de Rome, sculpteurs ou architectes, la matière indispensable. À l’époque de l’invasion des Barbares, l’exploitation des carrières cesse ou demeure fort languissante. Luna, qui a essayé de revivre et qui de païenne s’est faite chrétienne, est ruinée une seconde fois par le passage des hordes du nord. Malheur aux villes que traverse la voie Aurélienne sur le littoral de la péninsule ! C’est par là que les Goths, les Lombards, et plus tard les Normands et les Allemands, font successivement irruption. Les Sarrasins eux-mêmes viennent à plusieurs reprises porter le fer et le feu sur ces rivages. Luna, de nouveau dévastée, disparaît cette fois pour toujours, et les hommes sont sur le

  1. D’autres y voient Mercure : Le thyrse deviendrait alors un caducée, supposition bien permise, vu l’état de dégradation du bas-relief. Dans ce cas, on aurait les trois dieux protecteurs des chemins.
  2. De colonia, colonie, à cause de la colonie d’esclaves établie sur ce point.
  3. Pline, Hist. nat., lib. XXXVI.