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de ce pont est le Château-d’eau, où un canal vient déverser dans un vaste siphon de fonte l’eau d’arrosage pour les jardins environnans. Le siphon traverse le pont sur un de ses tympans, et vient reparaître à l’autre extrémité, où le canal coule de nouveau à découvert. Une cascade venue d’un autre point se déverse au même endroit dans le Frigido ; elle tombe à pic d’une hauteur de près de 20 mètres, et cette abondance de l’eau explique la beauté, la richesse de la nature en ces lieux favorisés. Le coup d’œil sur la mer est magique. Massa est véritablement la Nice de cette partie de l’Italie, plus agréable, mieux située, et d’un climat bien plus doux que celui de la Nice provençale.

À Massa, je remarquai des scieries peut-être plus belles encore que celles que je venais de visiter, et je pus voir aussi des ateliers presque inconnus à Seravezza, et que j’allais retrouver en grand nombre à Carrare : je veux parler des études de sculpteurs[1]. Je m’arrêtai un moment à celle du professeur Isola, qui, le ciseau à la main, la figure blanchie par le marbre, la blouse de l’artiste sur le dos, me convia gracieusement à entrer. Des muses, des Vénus, presque toutes du style de l’empire inauguré en Italie par Canova, c’est-à-dire coquettement coiffées et retroussant galamment leurs tuniques pour mieux montrer leurs jambes nues, semblaient joindre leurs sollicitations à celles du chiarissimo professore. J’entrai donc et donnai partout un coup d’œil. Les élèves, les ébaucheurs, étaient çà et là occupés, qui autour d’une colonne, qui devant un bas-relief. Celui-ci dégrossissait une statue dont on voyait encore le réseau des points de repère, comme sur l’esclave de Michel-Ange qui est au Louvre ; celui-là traçait un dessin pour préparer la pierre d’un tombeau. Je remerciai le maître de m’avoir si poliment ouvert son étude, et je hélai Galibardi impatient, qui était venu me rejoindre, et dont les chevaux, excités par l’avoine, n’attendaient que le signal du départ sur le pont de marbre du Frigido. L’art importait peu au voiturin ; il avait hâte d’arriver. Pour lui, le but était Carrare, — Carrare, avec son théâtre, ses jolies filles et ses cafés. Je me livrai à lui, et d’un trait il me porta à destination. J’avais à peine réfléchi à tout ce que je venais de voir, que déjà il s’arrêtait devant la porte de M. Th. Robson, un Anglais, l’un des premiers exploitans de Carrare, pour lequel j’avais une lettre, et qui me reçut en ami. Dès qu’il me vit en présence du maître du logis, Galibardi remonta sur son siège, et, faisant claquer son fouet, prit triomphalement le chemin de l’Albergo nazionale : c’est le grand

  1. A Carrare, à Massa, on dit une étude de sculpteur, comme en France une étude de notaire.