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plus d’exploitation d’aucune sorte. Le pays a changé d’aspect depuis la formation de l’unité italienne, depuis le jour où les habitans étonnés ont entendu le sifflet strident de la vapeur et vu la locomotive rouler sur un chemin de fer.

Cependant nous étions entrés sur le territoire de Massa, autrefois Massa ducale, maintenant Massa di Carrara. Nous gravîmes une côte partout couverte d’oliviers et de vignes. La ville, cachée au milieu de ses bois d’orangers, qui poussent ici en pleine terre, laissait seulement apercevoir les campaniles et les rotondes de quelques-unes de ses églises. Sur un monticule élevé se dessinait la forteresse, le Castello, comme on le nomme, et sur le rivage on entrevoyait la marine de Saint-Joseph, où Massa va charger ses marbres. Parallèlement à la côte, et protégeant la ville, se dressaient les hautes montagnes modenaises, le Monte-Sagro, le Monte-Brugiano, la Tambura, la Penna-di-Sumbra, se rattachant à l’Altissimo. C’est des contreforts de ces alpes littorales que Massa tire ses marbres blancs et veinés qui essaient de faire concurrence à ceux de Carrare et de Seravezza.

La ville de Massa est bien bâtie. Ce sont partout de belles maisons aux vastes fenêtres, aux balcons de fer s’ouvrant sur la rue. La grande place, plantée d’orangers, est ornée d’une pyramide de marbre blanc où on lit qu’en 1848 comme en 1859 Massa a été la première à adopter les idées nouvelles. Les citoyens du pays, sous ces ombrages odorans, devisent des affaires publiques comme des bourgeois du moyen âge. De la grande place de Massa on peut aller jeter un coup d’œil sur le Frigido, qui arrose la partie nord de la ville. Descendu des hautes montagnes aux flancs desquelles sont attachées les carrières de marbre, le Frigido, dont le nom latin a été si bien conservé, promène au-dessous de Massa ses eaux toujours vives et claires. Il s’est glissé dans une vaste anfractuosité qu’on dirait ouverte pour lui, et, resserré entre ses berges de calcaire, il prend quelquefois les allures d’un vrai torrent. Alors ce sont d’énormes blocs de roches qu’il roule, ce sont des ponts qu’il emporte. Il a ainsi violemment abattu l’ancien pont qui reliait Massa à ses faubourgs et promené jusqu’à la mer une partie de ses débris. Les plus gros blocs sont restés en place, et l’eau, dans les momens de crue subite, vient s’y abattre à la façon d’un bélier, comme si la lutte était ouverte entre la pierre et l’élément liquide, et qu’il s’agît de décider lequel des deux l’emportera.

Le Frigido, au sortir de Massa, se déroule dans une verdoyante plaine, et vient se jeter paisible à la mer, après avoir fait dans la montagne un vacarme d’enfant terrible. La route de Massa à Carrare le traverse sur un beau pont de marbre. À l’une des extrémités