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également marquée par une tour. À droite se profilent de hautes montagnes aux tons bleuâtres, celles dont par le Ugolin dans le poème de Dante, et qui empêchent les Pisans de voir Lucques.

C’est à travers cette contrée, si belle dans sa végétation naissante, si riche en souvenirs, que m’entraînait la vapeur par une de ces magnifiques journées d’hiver comme on en voit beaucoup en Italie. On était au mois de décembre 1863. Parti de Livourne le matin, j’avais franchi la station de Pise, puis, tournant au nord, celle de Viareggio, caressée par les flots de la Mer-Tyrrhénienne, et j’arrivais à Pietra-Santa, terme de mon voyage par la voie ferrée. Un ami, que j’avais rencontré quelques années auparavant dans la Maremme toscane et qui depuis avait pris la direction d’une mine d’argent dans les Alpes apuanes, au nord du grand-duché, était venu m’attendre à la station ; il me disputa aux nombreux vetturini qui s’emparaient déjà de mes bagages. Montés sur un léger calessino attelé d’un cheval fringant, nous dépassâmes bientôt tous les voiturins de louage qui nous avaient suivis à la course en vociférant, et en moins de trois quarts d’heure nous atteignîmes la jolie petite ville de Seravezza[1]. J’allai aussitôt frapper à une maison hospitalière qu’un Français, M. Henraux-Sancholle, propriétaire des plus belles exploitations de marbre du pays, avait mise gracieusement à ma disposition, et je trouvai dans cette maison, au pied des Alpes toscanes, des hôtes aimables qui me rappelèrent la France.

Seravezza était un point de départ des mieux choisis pour quelques tournées qui devaient me conduire aux points les plus curieux de la Toscane, si riche en mines et en carrières, et surtout à deux centres d’exploitation justement célèbres, l’Altissimo et Carrare, — l’Altissimo, où le génie de Michel-Ange, obéissant à la volonté patriotique d’un Médicis, Léon X, découvrit, il y a plus de trois siècles, des gisemens de marbres qui, retrouvés il y a quarante ans, n’ont pas cessé depuis d’être exploités ; — Carrare, où tous les habitans tiennent le ciseau comme sculpteurs ou comme carriers, et dont les marbres, connus bien avant ceux de Seravezza, ont depuis deux mille ans fourni tant de précieux matériaux à l’architecture et aux arts d’ornement comme à la statuaire.

La ville de Seravezza est située au confluent de deux ruisseaux, la Serra et la Vezza. À partir de Seravezza, ces deux ruisseaux n’en forment plus qu’un, connu sous le nom de Versilia, qui va mourir à la mer après avoir fertilisé la plaine de Pietra-Santa. Que l’on

  1. Il est d’usage en Toscane d’écrire Seravezza avec un seul r, contrairement à l’étymologie. On a évité ainsi le concours de deux syllabes longues dans le même mot et obéi à la règle qui ne veut qu’un seul accent tonique. La prosodie italienne, digne fille de la prosodie latine, est pleine de ces délicatesses.