Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beau-père de Louis XV, amena une guerre entre la France et l’empire. Quelle va être la situation de Maurice ? Son devoir d’officier supérieur l’appelle sous les drapeaux de la France, les liens du sang lui indiquent sa place auprès du roi son frère. Tous les historiens du comte de Saxe affirment que le roi de Pologne lui offrit le commandement de son armée, et que le comte aima mieux nous rester fidèle. M. de Weber ne trouve aucune trace de cette proposition du roi dans les archives saxonnes ; s’il reconnaît qu’en cette année 1733, et avant l’ouverture des hostilités, une mésintelligence assez vive éclata entre les deux frères, il l’explique par un nouvel incident des affaires de Courlande. En signant un traité avec la Russie (10 juillet), le roi de Pologne s’était engagé à maintenir l’intégrité du duché de Courlande, avec ses droits et franchises, tant sous le duc régnant que sous ses successeurs régulièrement élus, et le nom de Maurice n’avait pas même été prononcé dans les négociations auxquelles ce traité donna lieu. Le duc de Biren, candidat présumé, offrait pourtant de se retirer devant Maurice ; le roi de Pologne, jaloux de faire sa cour à l’impératrice Anna Ivanovna, dont les prédilections pour Biren commençaient à se déclarer, n’accepta point ce refus et sacrifia Maurice. M. de Weber semble croire que ce procédé du roi rejeta tout naturellement le comte de Saxe dans les rangs de l’armée française, c’est-à-dire, en d’autres termes, que Maurice n’eut pas à opter entre son pays d’adoption et son pays natal. La conduite du roi de Pologne ne serait-elle pas plutôt une punition infligée à Maurice ? Maurice a préféré la France à la Saxe, la Saxe se venge : tel est l’enchaînement des choses. Pour moi, je n’ai aucun doute à ce sujet lorsque je vois Maurice, en 1734, après un fait d’armes éclatant, réclamer au duc de Noailles, son chef, la récompense qui lui est due, et rappeler ses titres en ces termes : « J’ai moins consulté les devoirs du sang et ceux de mes intérêts que ceux de l’honneur qui m’attachent au service du roi[1]. » Les devoirs du sang, ses intérêts en Courlande, lui conseillaient d’accepter le commandement des troupes saxonnes ; l’honneur lui disait de rester en France. C’est l’honneur seul qu’il a écouté.

La France, unie à l’Espagne et à la Sardaigne, avait donc déclaré la guerre à l’empire. Une armée passe le Rhin sous les ordres du maréchal de Berwick. Maurice est un de ses lieutenans et prend part au siège de Kehl. C’est là, dans les tranchées de la citadelle, qu’il se trouve pour la première fois en face de ces troupes allemandes où s’était illustrée sa jeunesse. La prise de Kehl termine

  1. Lettres et Mémoires choisis parmi les papiers originaux du maréchal de Saxe, 6 vol. Paris 1794. Voyez tome Ier, p. 9.