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d’ennui. Si on veut trouver le nom de Maurice de Saxe mentionné quelque part avec sollicitude pendant la période qui suit son retour de Courlande, il faut s’adresser à ses amis du Nord, aux princes russes, aux diplomates saxons. Lefort n’a pas renoncé à le marier en Russie. Au commencement de 1728, le général Münnich, celui qui jouera plus tard un rôle si tragique dans les révolutions de palais à Saint-Pétersbourg, rencontre Lefort à la cour et lui demande des nouvelles du comte de Saxe : et où est-il ? que fait-il ? C’est ici que sa destinée l’appelait. Je m’étonne qu’il ne pense pas sérieusement à se placer. Il peut faire sa fortune, si la cour de Pologne veut aider de son côté. — Je comprends ce que vous voulez dire, répond l’envoyé du roi de Pologne ; mais le comte peut-il faire aucune démarche avant de connaître les sentimens de la princesse Elisabeth ? — S’il ne tient qu’à cela, je les saurai demain. » Nous résumons ici les dépêches de Lefort en nous servant de ses expressions mêmes. Le lendemain, la princesse, interrogée par Münnich, répondait « qu’elle avait résolu de ne s’engager avec aucun médiateur avant de voir celui qui devait la posséder. » N’était-ce pas suggérer à Maurice l’idée d’un voyage à Saint-Pétersbourg ? Quelques jours après, l’invitation devenait plus pressante. Lefort écrivait au roi que la princesse Elisabeth voulait absolument faire connaissance avec Maurice et voir de ses propres yeux « si la marchandise lui plairait. » On parlait encore ce langage dans cette cour à demi tartare. Pourquoi donc les amis de Maurice ne le décident-ils pas à tenter cette nouvelle campagne et à prendre sa revanche ? Lefort n’y comprend rien. Les argumens se pressent sous sa plume bavarde : « Sans ce qu’on donnera à la princesse Elisabeth, elle est déjà un très gros parti ; les terres de la tsarine que le tsar lui a données passent cent mille roubles de revenu. » Et puis la cour le veut, la cour l’appelle. On dirait une sorte de réaction contre Menschikof. Ostermann, Dolgorouki, tous les vainqueurs du moment, raffolent de Maurice. L’occasion est plus belle que jamais. Un fonctionnaire supérieur, grand ami de Maurice, étant parti pour l’Allemagne et la France, Lefort est persuadé qu’on lui a donné mission de ramener le comte de Saxe. Voici ce qu’il écrit le 24 janvier :


« Bacon est parti cette nuit pour aller rejoindre le comte de Saxe. Les discours qu’on lui a tenus, et la façon dont la cour du tsar lui fait précipiter son voyage, semblent lui dire à mots couverts : Allez-vous-en et amenez-nous-le. À vue de pays, tout par le en faveur du comte, depuis que l’amour du tsar a passé sur la Sibin[1]. Le zèle des Dolgorouki s’est aussi

  1. Le tsar Pierre II, après avoir été fiancé d’abord à la fille de Menschikof, avait dû épouser ensuite la princesse Elisabeth, sa tante, la même que le diplomate saxon désirait pour Maurice. En 1727, Pierre avait treize ans, Elisabeth dix-neuf. Nous ne savons quelle est la personne désignée ici sous le nom de la Sibin. Il s’agit peut-être d’une fille du prince Dolgorouki, fort occupé alors à consolider sa faveur auprès du jeune souverain.