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au comte de Friesen : « Mes Courlandais sont fermes comme roche, ils partageront ma fortune, ils mourront avec moi. » Maurice est seul avec ses gardes et quelques recrues arrivées des Pays-Bas. Sa petite troupe, où l’on regrette de ne pas voiries gentilshommes courlandais, est composée ainsi : douze officiers, parmi lesquels le général Belling et un capitaine français, M. de La Gascherie, qui était venu trois jours auparavant faire visite à Maurice ; cent quatre hommes d’infanterie, quatre-vingt-dix-huit dragons et trente-trois domestiques. Maurice, pour gagner du temps, veut mettre la mer entre l’armée russe et ses compagnons. Il se retire à quelque distance de la côte dans l’île d’Usmaïz et les îlots qui l’avoisinent. Là il commence à se retrancher, et fait demander dix jours au général Lascy avant de répondre à la sommation qu’il a reçue. On lui accorde quarante-huit heures. Le délai est passé, les Russes sont en marche, ils approchent… Comment se défendre avec cette poignée d’hommes ? Faut-il donc les sacrifier tous par un faux point d’honneur ? Maurice, c’est là un de ses traits distinctifs comme chef d’armée, a toujours respecté la vie du soldat, il a toujours condamné avec horreur toute effusion inutile de sang humain. Il rassemble ses camarades et leur donne l’ordre de ne pas se défendre ; l’honneur est satisfait. « Quant à moi, ajoute-t-il, ils ne me prendront ni aujourd’hui ni demain. Nous verrons par où toute cette comédie finira ! »

Le 19 août, il monte à cheval, et, tantôt nageant avec sa monture, tantôt traversant à gué les points où la mer est basse, il aborde à Windau. Pendant ce temps, la petite armée se rend au général russe, qui la traite avec honneur. Les bagages de Maurice sont pris, excepté une cassette qui renfermait le diplôme de son élection au duché de Courlande, et que son fidèle serviteur, Beauvais, put soustraire à toutes les recherches.

Ainsi finit cette singulière aventure ; mais ce ne fut pas Menschikof qui profita de la victoire. Quelques semaines après, au moment où Maurice, en perdant son duché, gardait du moins d’héroïques souvenirs, gage de sa gloire future, le despote qui avait tiré l’épée de la Russie contre un homme désarmé allait expier en Sibérie son orgueil et ses iniquités (septembre 1727). Les Russes, chose singulière, avaient travaillé pour la Pologne. Les commissaires polonais, entrés à Mitau sans coup férir à la suite du général Lascy, s’empressèrent d’effacer toutes les traces de l’élection de Maurice. Les Courlandais firent soumission entière ; la diète rassemblée à Mitau le 15 septembre 1727 déclara illégal et sans effet le vote unanime du 28 juin 1726.

Dans une lettre à Mme de Kœnigsmark, Maurice, parlant de la faiblesse