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suis au mieux avec le roi, écrit-il à Mme de Kœnigsmark, et nous nous voyons comme s’il n’y avait jamais rien eu entre nous. Il n’est pas plus question de la Courlande que si elle n’existait point. On ne m’en dit rien ; je poursuis donc ma route. La mort de la tsarine est pour moi une terrible catastrophe… Je m’attends aux complications les plus étranges. »

La mort de la tsarine ! voilà en effet la crise qui va précipiter le dénoûment. Si quelque chose pouvait soutenir Maurice dans cette situation désespérée, c’était la bienveillance secrète de Catherine. Maurice, il est vrai, ne souhaitait pas l’intervention des Russes en sa faveur. « Timeo Danaos, » écrivait-il à sa mère ; il espérait du moins que l’attitude et le langage de l’impératrice feraient hésiter les Polonais. Catherine morte, il était évident que Menschikof allait mettre la main sur la Courlande. La tsarine avait succombé le 17 mai. Dans un état comme la Russie du XVIIIe siècle, un changement de règne est toujours une révolution de palais. Après les premières intrigues, et quelques-unes fort tragiques, auxquelles donna lieu la succession de Catherine[1], Menschikof était devenu le plus terrible des tyrans. « Jamais, écrit Lefort au roi de Pologne (2 juin 1727), jamais on n’a redouté le tsar Pierre comme on redoute aujourd’hui le prince Menschikof ; tout se courbe à ses pieds. Dieu ait pitié de quiconque oserait lui opposer la moindre résistance ! Le despotisme d’autrefois n’est rien auprès de celui-ci. À peine est-on libre de respirer ! Il n’est personne qui ne tremble. Il continue à faire arrêter les gens à tort et à travers. Il s’agit bien de crimes contre l’état ! tout homme soupçonné d’avoir au fond du cœur une objection, un blâme, un désir contre la toute-puissance du despote est perdu[2]. » Pour affermir son pouvoir, Menschikof a déjà fiancé sa fille aînée, Marie, au jeune tsar Pierre II (3 juin) ; il donnera sa cadette au futur duc de Courlande, dont il.se réserve le choix. Quel sera ce duc ? Menschikof n’en sait rien encore ; il est décidé seulement à faire place nette en Courlande. Le général Lascy, qui commande huit mille hommes en Livonie, a l’ordre d’expulser Maurice de Saxe.

Maurice, revenu de Dresde à Mitau après de périlleuses aventures, reçoit la sommation du général moscovite : s’il ne quitte pas immédiatement la Courlande, on lui fait entrevoir ce un pays éloigné en perspective. » C’est le moment de vous lever enfin, hommes de Courlande ; où êtes-vous ? Il faut croire que Maurice s’était singulièrement exagéré les dispositions de ses électeurs quand il écrivait

  1. Voyez Ernest Hermann, Geschichte des russischen Staates, tome IV, p. 493-495.
  2. Cité par Ernest Hermann, Geschichte des russischen Staates, tome IV, p. 509.