Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/1030

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fille, n’aima-t-elle pas mieux, quand elle eut perdu toute espérance, se donner la mort que de la donner à son père ? On trouve, dans ses aveux à son confesseur, le motif de sa résolution criminelle. Cette belle créature, dont le portrait de la galerie Barberini, partout reproduit, a rendu si populaires les traits exquis et délicats, ne sut pas, à la fleur de ses seize ans, renoncer à la vie. Elle en avait un amour immodéré, impérieux. C’était une de ces fortes Romaines, si communes alors, qui justifiaient en quelque sorte par leur caractère l’orgueilleuse prétention qu’elles affichaient de trouver l’origine de leurs familles parmi les contemporains des Gracques et des Scipions. Les Cenci, pour leur compte, ne se vantaient-ils pas de descendre d’un consul Cencius ? Il suffit de se rappeler la part que prit Béatrice aux tragiques événemens qui la conduisirent à la mort, et surtout la constance dont elle fit preuve dans les plus horribles tortures, pour comprendre qu’il y avait une âme virile sous une si frêle enveloppe. On sait que les prières seules de sa belle-mère et de ses frères lui arrachèrent un aveu qu’elle appelait « déshonorant. » Cet aveu successif de tous les coupables ne permet plus le doute sur le crime des Cenci.


F.-T. PERRENS.



POÉSIES NOUVELLES.


Descartes a dit que les hommes ne diffèrent pas tant les uns des autres par les facultés qu’ils ont reçues de la nature que par l’usage qu’ils font de ces facultés. Nulle parole n’est plus vraie, et l’existence même des hommes de génie n’en infirme pas la justesse. Le génie, dans l’ordre littéraire par exemple, n’est autre chose que le triomphe d’une idée simple et universelle ; la grande poésie est celle qui tire son inspiration de ce fonds général d’idées et de sentimens qui est l’apanage de toutes les âmes. En se plaçant à ce point de vue, on a facilement une échelle des gloires et des mérites : à mesure que la conception du poète devient plus étroite et plus personnelle, la portée de son œuvre diminue ; quand les sentimens dont son vers module l’expression se rapetissent et se localisent pour ainsi parler, sa poésie baisse de ton et nous passionne moins. Ce n’est plus la note éternelle et universelle que chacun de nous écoute et comprend : ce n’est qu’un murmure passager qui s’oublie, à peine entendu, et se perd comme un chuchotement.

C’est ce chuchotement, incapable d’emplir l’oreille, qui, hélas ! remplace aujourd’hui ces grands concerts poétiques dont jouirent des générations plus heureuses que nous. C’est fini, nous n’avons plus de lyres toutes-puissantes. Dans le silence ou dans l’absence du génie, de mignonnes et vagues mandolines exhalent leurs menus accords ; l’inspiration s’en va en miettes. Parcourez les volumes de vers qui se publient de nos jours, vous verrez quel faible souffle anime ces œuvres sans vitalité ; on se croit au pays de Lilliput, et l’œil chercherait en vain quelque monument grandiose de lignes et d’aspect.