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des comités électoraux, d’user de l’organisme indispensable à la liberté et à la sincérité des élections, de nous servir d’une prérogative sanctionnée par trente-cinq années de gouvernement constitutionnel ? Est-ce privés de franchises aussi élémentaires que nous pourrons aller prendre en Europe le patronage des causes libérales ? Cet intempestif et illogique procès des treize n’est encore jugé qu’en premier ressort ; la cause a encore à traverser deux épreuves. On ne peut trop applaudir à l’émouvante élévation de pensée et de langage avec laquelle le défenseur des prévenus, M. Jules Favre, a soutenu à cette occasion les droits des électeurs ; les plus renommés avocats de Paris, réunis autour de cette grande cause, n’ont rien voulu ajouter au magnifique discours de M. Jules Favre, et se sont contentés d’être ses témoins. Il y avait là des orateurs illustres vieillis dans la vie parlementaire, d’anciens ministres, les maîtres du barreau. En voyant ce cortège imposant des défenseurs, il est impossible de ne point remarquer une regrettable anomalie de notre organisation judiciaire. Il est fâcheux que chez nous les situations de magistrature ne soient point plus élevées et ne soient point le couronnement des carrières illustres du barreau. L’autorité des juges serait bien plus grande, surtout dans les procès politiques, si, comme en Angleterre, il fallait en France, pour devenir juge, avoir fait ses preuves aux premiers rangs du barreau et avoir parcouru une active carrière politique. En Angleterre, la plupart de ces hommes qui assistaient l’autre jour M. Favre auraient été, avec les carrières qu’ils ont fournies, lords-chanceliers ou lords grands-juges. Quelle autorité une réunion de vétérans de cette sorte n’aurait-elle point en Angleterre ! Et quoiqu’en France la suprême dignité des fonctions judiciaires leur fasse défaut, est-on bien sûr qu’ils n’aient point aux yeux du public une autorité considérable ? N’y a-t-il pas un inconvénient, un danger presque, à mettre en conflit, dans les affaires politiques, des décisions judiciaires avec les opinions puissamment exprimées de l’élite du barreau ?

Ce n’est pas seulement un intérêt de politique extérieure qui réclame la renaissance de la France à la liberté, c’est aussi l’intérêt éminent de la fécondité intellectuelle de la France. M. Duruy, à la distribution des prix du concours, nous a révélé avec une louable franchise une curieuse statistique. Le ministre, pour avoir une idée des variations du niveau de l’instruction publique parmi nous, a fait comparer les compositions des concours pendant une longue période. Il résulte de cette comparaison que la qualité des compositions a été plus élevée justement aux époques où les émotions de la vie politique, pénétrant dans les couches supérieures de nos collèges, y excitait les talens naissans et y allumait une ambition généreuse. Il y avait sous le gouvernement de 1830 un progrès qui s’est encore maintenu sous la république ; mais il y a eu déclin de 1852 à 1859. Depuis cette dernière année, le niveau se relève sans atteindre encore à la hauteur des ères libérales. On dira peut-être que l’abaissement des études, de 1852 à 1859, provient du barbare système de la bifurcation ; mais cette affreuse