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naïvement qu’une œuvre de nationalité pouvait être confiée à la Prusse et à l’Autriche. En tout cas, ces deux puissances se chargent hautement aujourd’hui de déniaiser ceux qui ont cru que leur conscience les obligeait à laisser sacrifier le Danemark sur l’autel de la nationalité. Les duchés enlevés au Danemark obtiendront peut-être un souverain nominal ; mais au point de vue militaire, maritime et diplomatique, ils entreront dans l’organisation et le système de la Prusse. Il n’est plus question de nationalité, lorsqu’il s’agit des Danois du Slesvig annexés à l’Allemagne. Il n’est plus même question, dans les arrangemens principaux, de cette infortunée diète de Francfort et de l’intervention des états moyens. Votre rôle est fini, monsieur de Beust ; vos beaux jours sont passés. À Londres, vous aviez l’orgueil de faire attendre la conférence, qui n’osait ouvrir ses délibérations avant votre tardive arrivée. Vos confédérés font moins de façons : ils mettent votre général à la porte de Rendsbourg et oublient de vous inviter aux conférences de Vienne. Il ne vous reste plus qu’à tenter contre les grandes puissances allemandes une de ces tristes campagnes du particularisme dont vous avez l’habitude, et où vous vous savez vaincu d’avance. Vous avez encore à apprendre à quelques attardés que le patronage des états moyens d’Allemagne n’est point en ce moment un moyen politique plus efficace que le principe des nationalités.

Ne récriminons plus sur le passé, et prenons en considération le présent. Personne ne niera qu’il n’y ait un fait très nouveau dans le règlement d’affaires qui intéressent l’équilibre du Nord, s’accomplissant en dehors de toute participation de la France. Ce qui se passe à ce sujet forme un précédent où l’on pourrait voir de notre part l’abandon du système séculaire qui avait porté la France à chercher dans l’organisation des états scandinaves d’utiles contre-poids et des garanties défensives. Ce système abandonné doit être remplacé par quelque chose : il faut que nous retrouvions près de nous les contre-poids et les garanties qu’il ne nous paraît plus désirable de chercher et de nous assurer si loin. Les événemens récens ont produit aussi un autre fait nouveau : ils ont donné à la Prusse dans la politique européenne une place qu’elle n’avait point occupée depuis le commencement de ce siècle. La hardiesse heureuse d’un ministre, M. de Bismark, une campagne qui a donné à l’armée prussienne une grande confiance en elle-même, un succès diplomatique qui accroît en Allemagne, sinon la popularité, du moins la puissance effective de la Prusse, ont opéré ce grave changement. La position relative de la France est inévitablement affectée par tout ce qui augmente en Europe la position morale ou matérielle de la Prusse. Enfin avec ce réveil soudain de l’activité de la Prusse coïncide un autre fait non moins considérable, l’union reformée entre la Prusse, l’Autriche et la Russie, union qui modifie profondément au point de vue moral, sinon au point de vue matériel, la situation de la France. En présence de ces faits simultanés et du nouvel ordre de choses qu’ils créent, il est évident que la France a besoin de fortifier les élémens et les moyens