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vite, pour peu qu’il s’ennuie dans les glaces du nord ; il en fera, son lieutenant. Que Mme de Koenigsmark veuille bien lui écrire de son côté ; l’entreprise est belle et glorieuse, surtout pour ceux qui auront l’honneur d’y jouer les premiers rôles. « J’ai trop d’affaires sur les bras, ajoute Maurice ; je ne puis m’occuper à la fois et de l’armée et de la politique. Loewenhaupt et moi, nous nous partagerons la besogne. Il n’est pas nécessaire d’ailleurs qu’il donne sa démission en Suède ; le gouvernement suédois ne lui reprochera pas d’être venu secourir un de ses pareils contre les Polonais. » Ce même billet nous apprend que Maurice avait l’espoir de mettre bientôt quatre mille hommes sur pied. Il va jusqu’à s’écrier dans la fièvre de sa colère et de ses illusions : « Qui sait si le monde ne reverra pas en moi un nouveau Coriolan ? » c’est-à-dire : malheur à la république ! malheur au roi de Pologne ! On se figure aisément quelles devaient être les angoisses d’Aurore de Koenigsmark à la lecture de pareils messages. Avant d’autoriser son fils, par ses conseils, à se jeter dans les derniers hasards, elle veut savoir ce que signifie cette proscription, cette tête mise à prix, et elle écrit à l’un des ministres du roi de Pologne, à M. de Watzdorf, qui s’est toujours montré pour elle aussi respectueux, aussi bienveillant, que Flemming a été dur et cruel. Nous, n’avons pas la lettre d’Aurore de Kœnigsmark, mais voici la réponse de M. de Watzdorf. Nous la donnons tout entière, parce qu’elle éclaire d’un jour inattendu ce dramatique imbroglio.


« Par la lettre dont votre excellence a bien voulu m’honorer, je vois la peine que les nouvelles de M. le comte de Saxe vous ont causée. Je puis vous assurer, madame, que, sans parler des sentimens d’autrui sur ruse affaire de cette nature, j’en ai, en mon particulier, conçu un véritable déplaisir, non que je croie que, pour tout ce qui s’est passé à Grodno, M. le comte de Saxe en soit moins duc de Courlande un jour, mais par suite de mon humeur accommodante qui souhaiterait que toutes les choses justes, louables, se fissent de bonne grâce. Pour celle-ci, ce n’est pas en cela qu’elle abonde, et c’est de quoi je suis fort fâché ! Quant à la conservation d’une dignité acquise par son mérite j’espère, madame, que vous aurez assez bonne opinion des Courlandais pour croire qu’ils n’ont pas entrepris cette affaire légèrement, qu’ils ont prévu une partie de ce qui s’est passé, et, bref, qu’ils ont réponse à tout. L’acte de proscription ne m’est connu que par ouï-dire. Cela ne tire pas à conséquence : M. le comte de Saxe n’est pas Polonais ; par conséquent il ne doit pas plus s’en affliger que moi, si les Espagnols me reprochaient de ne pas aimer leur nation. Ce ban prétendu ne suppose pas un prix pour la tête. Je ne sache pas qu’il en ait été question ; mais quand cela serait, comme il n’y a pas de fou en Pologne pour ces sortes de dépenses, je crois que M. le comte de Saxe peut voyager dans ce pays-là sans s’attendre à rien de funeste. Vous savez au reste, madame, que la proscription n’est pas toujours un augure certain à faire échouer les personnes qui en sont l’objet. Jules César l’a été, et s’il a trouvé des