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deux coups du pistolet ratent; le tagal furieux lance son arme à la tête du cavalier, l’abat et le tue d’un coup de sabre. C’était le commandant en second de la préfecture de Chao-ching; ses étriers en argent, ainsi que le mors de sa selle et le fourreau de son sabre, furent le trophée de la journée. Les soldats hurlaient de joie : leur général était vengé. Le lendemain, ils se replièrent sur Shang-yu.

Le chef de la division navale française envoya immédiatement, pour commander le contingent, le capitaine d’artillerie Tardif de Moidrey. C’était M. Tardif qui avait organisé à Shang-haï la petite troupe d’artilleurs dont les services avaient été si utiles aux amiraux alliés. Nul ne pouvait donc mieux que lui recueillir l’héritage de son prédécesseur. A peine arrivé, il conduisit ses troupes à trois lieues de Chao-ching, dans une petite bourgade fortifiée, placée à cheval sur le canal par lequel les rebelles recevaient leurs approvisionnemens. C’est là que M. Le Brethon avait résolu de s’établir dans le cas où son coup de main contre la ville n’eût pas réussi. Après s’être procuré des munitions, avoir complété l’armement et raffermi la discipline, M. Tardif se présenta, le 16 février 1863, devant Chao-ching. Le capitaine Dew s’était joint à l’expédition comme amateur, et il apportait avec lui un bel obusier de 22, qu’il prêta au contingent. Personne à Ning-po ne doutait du succès; pourtant le vieux gouverneur hochait toujours la tête et répétait que l’époque fixée par les devins n’était pas arrivée. Cette fois encore les devins eurent raison !

Le feu s’ouvrit à six heures du matin. A neuf heures, l’obusier anglais avait ouvert une brèche de vingt pieds de large. M. Tardif réunissait ses compagnons d’assaut et allait les lancer, lorsqu’un coup de feu partit à côté de lui et le frappa à la tête; on l’emporta mourant. Triste fatalité! c’était un de ses plantons chinois qui, armant maladroitement son fusil, en avait amené l’explosion et avait causé ce déplorable malheur. Le contingent restait donc une deuxième fois sans chef; mais le capitaine Dew prit sur lui de désigner le plus ancien instructeur comme commandant temporaire et de prescrire l’assaut. A midi, le signal fut donné de se jeter dans les barques pour traverser le canal et monter à la brèche. Quatre instructeurs et douze tagals manillois se lancèrent hardiment en avant et montèrent au sommet du mur; arrivés dans cette périlleuse situation, ils s’aperçurent qu’ils n’étaient pas suivis, que les troupes n’avaient pas traversé le canal, et qu’elles restaient en désordre sur la berge, d’où elles tiraient contre les murs à tort et à travers, sans prendre même le temps de viser. Les Taï-pings, qui avaient déjà commencé à fuir, revinrent sur leurs pas. Des seize réguliers qui avaient si résolument exécuté l’ordre d’assaut, dix seulement